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Ecriture
Les eaux intérieures, ou le silence des renaissances.
Il y a longtemps qu'il n'y a rien eu de publié ici !
Il est temps de relancer un peu cette partie oubliée du forum.
Je vous livre ici le prologue d'un e-book que je viens de mettre récemment en ligne.
Prologue — Le seuil
Il y a un moment, juste avant de partir, où tout se fige.
Le sac est prêt. La décision prise. Mais c’est comme si l’air lui-même retenait son souffle.
Le monde que l’on quitte tient encore dans le reflet tremblant d’une vitre, dans le silence presque sourd d’un couloir familier, dans le grain rugueux d’un mur qu’on ne caressera plus mais dont la mémoire reste au bout des doigts. Tout semble à la fois minuscule et infini, saturé d’une présence qu’on n’avait jamais remarquée. Il y a ce tremblement discret, presque imperceptible, comme un battement d’ailes à l’intérieur. Les objets, les visages, les bruits du quotidien se figent dans un cadre invisible. Les odeurs deviennent plus denses, le parfum d’un meuble ciré, la poussière tiède des livres, le souffle d’air froid sous une porte. On se surprend à vouloir retenir tout cela, à graver dans sa mémoire l’inclinaison d’une chaise, la lumière sur un mur, un bruit lointain de pas qui monte l’escalier. Comme si ces détails anodins, ces miettes de réel, étaient le dernier lien avec une existence qu’on s’apprête à laisser derrière soi.
Mais on ne part pas tout à fait encore. On attend. On écoute. On doute, un peu. On se suspend à cet instant fragile, comme à une dernière respiration. On voudrait croire qu’en restant encore une minute, deux minutes, le monde offrirait un signe, un prétexte pour ne pas partir. Mais rien ne vient. Alors on comprend que le départ ne se négocie pas , il est déjà en marche, même si nos pieds ne bougent pas encore.
Il n’y a pas de drame, pas d’éclat. Juste ce point de bascule où quelque chose en soi se desserre, lâche, doucement, presque tendrement, comme si une main invisible ouvrait la paume. C’est un glissement imperceptible, une fissure de lumière qui s’élargit sans bruit. Ce n’est pas une fuite, ni un caprice. C’est une nécessité, celle de s’éloigner pour s’entendre respirer, pour retrouver le rythme oublié de son propre cœur.
On voudrait pouvoir nommer cette force, l’expliquer, mais elle échappe aux mots. Elle pulse dans la poitrine, obstinée, irrévocable. C’est une voix sans bouche, un courant sans source apparente, un appel venu d’ailleurs. Peut-être d’un lieu réel, peut-être d’un espace intérieur qu’on a cessé d’habiter depuis trop longtemps. Il y a là-dedans un vertige et une douceur, la promesse d’une terre inconnue et le deuil silencieux de ce que l’on laisse.
De faire taire le monde pour voir ce qui, en soi, persiste encore. Ce qui résiste. Ce qui attend, replié dans l’ombre, comme une graine sous la neige. Une fleur prête à éclore aux premiers jours du printemps. Un souffle ancien, qu’on avait oublié mais qui n’avait pas cessé de palpiter.
Je ne savais pas où j’allais. Je savais seulement que je ne pouvais plus rester. Cette certitude n’avait pas de contours, elle était mouvante, mais elle était là, et elle me tenait debout. Peut-être était-ce cela, grandir, sentir que quelque chose nous pousse dehors, sans promesse de retour, avec la seule garantie d’être en chemin.
Alors j’ai quitté la ville. J’ai tourné le dos aux visages aimés, aux habitudes rassurantes, aux phrases que l’on dit pour ne pas dire, à ces gestes automatiques qui finissent par user le cœur. Je marchais vers le silence, vers l’inconnu, vers ce rivage dont je ne sais rien, sinon qu’il existe, et qu’il m’appelait. Son nom, je l’ignorais, mais déjà sa présence me devenait familière. Il était comme un mirage que l’on devine avant l’horizon, une silhouette d’eau et de vent, peut-être seulement un rêve. Mais c’était un rêve qui avançait avec moi.
Il y avait du vent ce jour là. Une lumière basse qui effleurait les toits comme un souvenir. Dans mes poumons, une fatigue ancienne, mêlée d’une étrange lucidité, cette clarté trouble qui précède les départs véritables, peut-être définitifs. Je sentais la ville glisser derrière moi comme une peau qu’on retire, telle une mue. Chaque pas me rendait plus léger, et plus nu.
Je ne cherchais pas à comprendre. Je voulais juste ressentir. Me dépouiller de ce qui pesait et collait à la peau. Renaître, peut-être. Ou disparaître un peu, le temps de me retrouver. Je savais qu’on ne revient jamais vraiment de ce genre de voyage. Mais je fermais les yeux, je respirais, et je fis un premier pas.
À ce moment-là, je ne savais pas encore que ce rivage me tiendrait plus que je ne le tiendrai moi.
Je ne savais pas encore que l’on n’en revient jamais tout à fait le même.
Mais déjà, en moi, quelque chose s’ouvrait, comme une porte intérieure. Et le vent s’y engouffrait, emportant les derniers fragments d’un monde que je n’avais pas su habiter autrement qu’en partant.
A suivre.....
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Le livre existe aussi en version papier depuis peu.
😊
