Histoire : Le château

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Histoire


Histoire ajoutée le 16/01/2015
Épisode ajouté le 16/01/2015
Mise-à-jour le 03/07/2021

Le château

Bonjour, bonne année à tous!
Alors, voilà, je me lance dans le récit en prose à mon tour. Et il m'en a coûté! C'est fou comme c'est plus difficile d'écrire de la prose que de la poésie... Dans ce récit, il y aura quelques surprises, et, promis, au moins une scène de baise qui justifie sa situation dans la partie interdite aux moins de 18 ans. Mais là, je laisse le suspens...

Par ailleurs, toutes les critiques seront les bienvenues, d'autant que ma prose est ma foi fort lourde (et encore, j'ai beaucoup éliminé). Allez, je commence.

LE CHÂTEAU

Chapitre 1 : La rencontre


Lorsqu'ils arrivèrent au château, David et Teresa ne furent pas peu surpris de découvrir, après avoir franchi un vieux portail rouillé en guise d'invitation au chemin de gravier sinueux qui devait traverser encore un petit parc avant d'atteindre la dernière ligne droite, par une allée où l'on put se garer, puis gravir les marches du perron jusqu'à la porte d'entrée fastueuse, cette bâtisse d'allure gothique, hérissée de tourelles, perdue au cœur de la forêt, et dont ils n'auraient jamais soupçonné un seul instant que leur hôte, le comte Ferrand, fût le propriétaire, à cause de l'apparente simplicité qui se dégageait de la mise de celui-ci au premier abord, un simple blouson en cuir et un vieux jean délavé, à cause encore de son nez camus, de sa calvitie naissante, de ses rouflaquettes rousses encadrant un visage plus proche de la paysannerie médiévale d'un Brueghel que d'une quelconque aristocratie décadente, à quoi s'ajoutaient une barbichette «à la cool » et une voix graveleuse légèrement chevrottante.

Ah c'est qu'il cachait bien son jeu, le bougre ! La rencontre, d'ailleurs, fut un vrai « choc », au sens propre du terme.

David était ce jour-là au volant de sa voiture, lors d'une escapade en amoureux qui les avait conduits, lui et sa copine, dans une région rurale et boisée dont ils ignoraient à peu près tout. Il avait bien choisi l'endroit, repéré sur google earth, espérant retrouver là une sorte de nouveau jardin d'Eden pour de possibles ébats érotiques en plein air, s'il faisait beau. Concernant la météo, l'affaire se présentait plutôt bien. Le milieu naturel, en revanche, lui faisait redouter un véritable enfer, moustiques et bestioles à gogo, chose qu'il abhorrait plus que tout en cette période estivale. Qu'importe ! Il se voyait volontiers prendre sa Dulcinée en levrette sur le bord d'un étang, tout en profitant du paysage bucolique qui s'offrirait à sa vue, bosquets, lacs et collines, autant de courbes harmonieusement conjuguées au corps de la femme, et quel corps !

Tandis qu'il se perdait en ses agréables pensées ils croisèrent, sur la départementale, un 4X4 inopinément apparu à un lacet de la route, comme surgi de nulle part, et qu'ils manquèrent bien de percuter, car la visibilité, en cette fin d'après-midi pourtant fort ensoleillée, s'avérait médiocre du fait de la densité d'arbres et de végétation un peu folle, baroque, qui bordaient la voie. Les deux véhicules étaient déjà engagés, et se frôlèrent sans que le choc se produisît. Ils ne roulaient pas bien vite.

Sur le moment, David n'eut pas le sentiment qu'il y eût contact. Il n'avait pas réussi à distinguer le visage du conducteur du 4X4, et l'on n'aurait su dire s'il y avait des passagers. Teresa s'inquiéta : « dis, tu crois pas qu'on devrait s'arrêter, pour vérifier qu'il n'y ait pas eu de dégâts ? »

Un bruit s'était fait entendre. Bruit de carrosserie.

« Bof ». Il n'avait guère envie de s'attarder en cet endroit et les alentours commençaient à s'obscurcir. Non qu'il eût craint quelque danger (on n'est quand même pas dans « Delivrance », pensa-t-il en réprimant un sourire, car la pensée des rednecks violeurs venait de l'effleurer, et l'amusa même une fraction de seconde), mais il avait hâte de rejoindre la route principale, celle qui menait à la ville la plus proche, car ils n'avaient pas réservé d'hôtel et il fallait en chercher un.

Mais il sentit que décidément, quelque chose n'allait pas, que cela « ne passait pas ». Il se gara donc sur le bord du chemin, après une rapide délibération, et descendit de voiture, pour s'apercevoir, surpris, que le conducteur du 4X4 avait fait de même une centaine de mètres plus loin, puis s'était mis en marche vers lui, d'un air nonchalant : « et merde, l'autre qui se ramène », se dit David. Teresa restait à bord, et s'occupait en lisant la carte Michelin.

« Ah ben vous avez bien rayé ma bagnole », fit l'homme.

« Je... je suis désolé », bredouilla David, le visage renfrogné, visiblement contrarié. Il allait falloir faire un procès-verbal, en plus, l'autre semblait y tenir, à son 4X4. David, lui, songeait à son assurance, car sa voiture était une location. De toute évidence, il allait « raquer » (ou « craquer », c'est selon).

« Ecoutez, on peut s'arranger... on fait un constat à l'amiable », proposa-t-il.

L'autre s'esclaffe. « Putain, moi j'ai surtout envie de rentrer chez ouam »

Derrière lui, les passagers du 4X4 s'étaient rapprochés doucement : un type à la mine patibulaire, jeune, avec un air de « henchman » jamesbondien (version Daniel Craig), au regard bleu et dur.

Et puis une voix d'enfant : « hé papa, on y va, alors ? » et un bébé qui pleure dans le 4X4, une femme qui s'y met à son tour (« Ohé ! T'arrives, ouais ? on va pas y passer la nuit, là ! ») (« Bon sang, mais d'où ils sortent tous ?», se demanda stupidement David, mais seuls les « chefs » du clan étaient descendus de voiture, et le petit garçon qui devait avoir dans les dix ans)

« C'est bon, on passe », fait le « chef-chef », le conducteur, tout en réfléchissant.

« Ecoutez, vraiment, je suis confus », continuait David, qui se sentait rougir, sans trop savoir s'il était honteux ou échauffé par la tension ambiante, et sortant son carnet de chèque, « je peux payer, si vous voulez, dites-moi un montant sur lequel on puisse se mettre d'accord ».

Teresa, cette fois, était descendue à son tour, et assistait à la scène, passive, apparemment indifférente. Mais l'homme en était encore à réfléchir, scrutant David de ses yeux de fouine, tandis que son gamin le tirait par le bras et que le « henchman » restait posté en tireur d'élite, juste derrière eux.

« Oui, je crois qu'on peut s'arranger », déclara-t-il finalement, « mais vous savez, si vous voulez payer, cela va vous coûter cher, hein ? C'est que je suis un dur en affaires, moi, vous m'aurez pas comme ça ».

Il commençait à se détendre un peu, souriant, même, comme s'efforçant de prendre la chose avec humour, et soucieux d'en finir une bonne fois.

Puis brusquement, tendant la main : « Allez c'est bon, avouez qu'on vous a bien foutu les jetons, hein ?  Je m'appelle Ferrand »

David : « ben moi, c'est... »

« ...Ferrand, Maréchal Ferrand! Grrrrrrrmphhh... »

« Enchanté », fit David.

« OUAAAAAAAARFARFARF!!! », les deux gaillards s'esclaffaient devant sa mine déconfite, et Teresa elle-même réprima discrètement un sourire.

« Venez chez nous, on vous invite tous les deux à boire un coup à la maison. Qu'en dis-tu, Marie ? » (sa femme s'était approchée, avec son bébé de six mois dans les bras).

« Bien sûr », dit-elle avec une douceur qui ne s'était nullement laissée deviner quelques instants auparavant. C'était une femme assez jolie, qui paraissait la trentaine à peine, comme David, tandis que son mari (du moins David le supposait-il son mari), Ferrand, devait avoir entre quarante-cinq et cinquante ans.

« Comment qu'y s'appelle, ton mec ? » demanda Ferrand à Teresa.

« David», répondit-elle. David, qui aurait préféré l'incognito, demeurait extrêmement gêné que ce fût Teresa qui le présentât à sa place. Celle-ci enchaîna : « Et moi je m'appelle Teresa ». Ces derniers mots avaient été comme provoqués par le regard impérieux et franchement inquisiteur de Ferrand, qui semblait sonder les arcanes du couple, et les désirs exogènes de Teresa.

« Bon alors voilà le plan », poursuivit Ferrand « on rentre au « château », chez les nôtres, et là... nous trouverons un moyen de faire payer ton copain, pas vrai ? Allez, on va bien s'amuser, hinhinhin !...». Il s'adressait toujours à Teresa, qui eut un petit rire complice, imitant celui des autres. David se sentit contraint de s'y rallier à son corps défendant...


Chapitre 2 : La soirée


« Les nôtres » : c'est qu'en effet, lorsqu'ils entrèrent dans la grande salle à manger du «château » (en fait, plutôt un manoir qu'un château, mais un vrai manoir gothique ; et dont l'intérieur fastueux comportait trois étages reliés par un escalier en colimaçon, meublés avec opulence, de longues tables en bois un peu partout, des chandeliers, des fenêtres larges et hautes ouvrant sur les balcons, sans oublier deux cheminées et un fourneau dans la cuisine, un nombre indéterminé de chambres, de pièces d'eau et de vestibules, un grenier, et probablement une ou plusieurs caves ; mais en outre entouré de ses dépendances, parmi lesquelles on pouvait distinguer, dehors, un bâtiment parallèle à l'aile principale du manoir, ainsi qu'une grange), David et Teresa se retrouvèrent en plein milieu d'un repas réunissant famille, amis et connaissances en une foule de convives, certains avec leurs enfants.

Ce fut le « henchman » qui leur fit visiter les lieux, pendant que Ferrand s'affairait ici et là, gérant la soirée en maître de cérémonie : il semblait attendu de tous depuis un moment déjà, et dut raconter le malencontreux incident qui leur avait valu la visite de ces deux invités imprévus, que l'on présenta rapidement, alors que l'on avait entamé le dîner « à la bonne franquette ». On célébrait l'anniversaire du patriarche, qui trônait au bout d'une table démesurément allongée, et semblait un peu isolé, au point qu'on peinait à le discerner en entrant dans la salle haute. Il y avait là des gens de tous âges.

C'était surtout l'occasion, apparemment, de retrouver d'anciens amis du patriarche, mais aussi de son fils, Ferrand, avec leur famille respective. Peu nombreux étaient ceux qui portaient un costume. La plupart étaient habillés le plus simplement du monde. Un observateur attentif se serait aperçu qu'ils n'étaient pas tous dans la catégorie aisée de la population, peut-être même y avait-il là des gens désargentés, à la mode ancienne des « courtisans » qui fréquentent un grand seigneur, à ceci près qu'ils ne pouvaient décemment plus se faire entretenir par lui, d'autant moins que les soirées chez le comte n'avaient pas lieu tous les jours, loin de là.

Les enfants, très excités, couraient dans tous les sens, et il était difficile de les maintenir en place. Il y avait bien entendu un piano dans le salon qui jouxtait la grande salle, au fond, où quelqu'un jouait un répertoire mêlant rock, jazz, variétés ; on entendit même du Britney Spears par moments. Un homme éméché, au visage rond et gras, eut l'idée saugrenue de vouloir faire du karaoké en chantant un « tube » de Johnny Halliday, ce qui exaspéra bien le pianiste, obligé de s'exécuter tout en grommelant dans sa barbe, qu'il avait touffue.

A cette étape de mon récit, on ne peut, j'en suis bien conscient, que s'interroger sur la véritable identité de ce mystérieux Ferrand, ainsi que sur ses intentions non moins suspectes. Mais il semblait que nul être au monde fût moins mystérieux que ledit Ferrand, qui se faisait appeler « comte », par dérision bien sûr : comte Ferrand (et non pas Maréchal, tout « comte » fait). C'est que dans « le comte », on ne peut guère s'empêcher d'entendre « le con ». Et que le comte soit un con, cela n'échappera pas longtemps au jeune couple d'amoureux.

Certes, Ferrand n'était pas exactement un idiot, bien que doté d'un humour graveleux et sans délicatesse. Il « surjouait » sans cesse son personnage, et l'on pouvait tout, absolument tout, savoir de sa vie : de ses origines aristocratiques, de son manoir hérité de ses ancêtres, du fait qu'il était « du terroir » (comprenez : d'ici), de son peu d'éducation (son « connard » de père ne lui ayant rien transmis), de son aversion pour l'école, de son engagement dans les « para » à vingt piges, de ses prouesses guerrières et/ou sexuelles, sans oublier ses préjugés douteux sur les étrangers.

Sa xénophobie s'arrêtait cependant au corsage affable de Teresa, dont la robe noire donnait, contre toute attente, encore plus de relief à sa poitrine. Elle faisait mine de détourner le regard avec un air méprisant que David constatait sur le visage de sa partenaire pour la première fois peut-être depuis le début de leur relation.

« Elle est d'où, ta copine? », glissa Ferrand à David, au creux de l'oreille pour qu'elle n'entende pas, tandis qu'elle discutait avec un jeune homme attablé à leurs côtés (le très léger accent de Teresa, qui roulait encore un peu les "r", n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd...)

« Elle est espagnole. » « Alors là je dis : BRAVO ! Félicitations ! » (rire gras, plein de sous-entendu). David répondit par un rictus embarrassé. Il n'avait aucune envie de prolonger la discussion. Dire qu'il faudrait passer l'intégralité du repas à côté de ce gros lourd ! En plus, il puait de la gueule... Mais Teresa s'obstinait à « draguer » le beau gosse qui lui faisait office de voisin de table.

La nuit était déjà fort avancée, et la fête battait son plein. Ferrand avait une cuisinière à son service, une excellente cuisinière, comme on put en juger, et des domestiques pour servir. David se demanda si le pianiste apathique à la barbe broussailleuse était aussi un domestique. Le vin était excellent, et certains, parmi les invités, parlaient fort, sous l'emprise de l'alcool. Les histoires salaces circulaient à droite à gauche, on entendait des rires grossiers chez les hommes, et de petits pouffements complaisants chez les femmes, elles aussi grisées par la soirée. Mais on restait dans les limites de la correction, car les enfants n'étaient pas couchés : leur avait-on permis exceptionnellement, ce soir-là, de veiller un peu ?

Lorsque les invités sortirent de table, des groupes se constituèrent, disséminés ici et là, les uns dans le salon du fond, d'autres sortirent fumer sur le balcon, d'autres restèrent à discuter, attablés autour des dernières tasses de café dans la grande salle, et l'on coucha les enfants.

Aux murs, David releva la présence d'écussons dont il ignorait la symbolique, et la fleur de lys sur les rideaux cramoisis qui ornaient le salon l'intriga. Nulle galerie de portraits dans les escaliers, en revanche, contrairement à ce qu'on voit dans les films représentant des familles de noble lignée.

« Vous êtes royaliste, j'espère ? » Ferrand se trouvait juste derrière lui.

« Euh...non... » bredouilla David.

L'autre lui rendit un regard souçonneux et railleur :

« Ici, vous savez (Ferrand passait indifféremment du « tu » au « vous »), on n'apprécie guère les républicains... encore moins les socialo... Les « sots-salauds », hahaha ! Moi, je descends d'une grande famille. Je parierais bien que toi aussi, mon cher... duc ! » ajouta le comte par dérision, avant de s'éclipser dans un grand éclat de rire : « Nous avons un duc à la maison, les amis ! Un duc de gauche, HAHAHAHA ! »

(« et toi tu n'es qu'un pauvre comte », pensa David)

Dans le salon, où il y eut une tentative de chorus pianistique sur le « waka waka »de Shakira, une femme de leur âge s'approcha de David et Teresa, en les toisant rapidement du regard. « Vous vous amusez bien ? » Teresa eut une moue réprobatrice, mais David répondit spontanément : « oui, c'est sympa, cette soirée. » Teresa les abandonna pour rejoindre un autre groupe.

« Que faites-vous dans la vie ? » poursuivit l'interlocutrice en abordant David, resté seul.

Le comte était allé lier conversation avec une quadragénaire au décolleté avenant pendant que sa femme, qui venait de coucher les gosses, se morfondait dans un coin.

Au cours de la soirée, David avait cru, à tort ou à raison, que les regards féminins glissaient parfois vers lui. Il est vrai que, sans être particulièrement beau, il dégageait un charme lymphatique et nonchalant, une indolence, une mollesse, qui pouvaient aussi bien plaire, que déplaire aux femmes. David n'était pas un « tombeur ». Sa taille moyenne, son allure svelte, son visage souriant et lisse, ses épais sourcils noirs couvrant des yeux volontiers larmoyants lorsqu'il riait, l'intonation juvénile et traînante de sa voix, constituaient certes des atouts potentiels, mais il semblait n'en avoir conscience que confusément, et c'est précisément cette sorte d'innocence, ajoutée à une gaucherie dans le maintien, qui lui donnaient parfois l'image d'un « benêt », dont les « manières » aristocratiques que le comte lui avait ironiquement attribuées, laissaient en réalité deviner une féminité inavouée, une disposition à l'abandon, une langueur. Ces qualités sans ruse eussent peut-être éveillé les désirs les plus troubles d'aucune... mais de quelle nature ?

Tandis que David discutait avec la jeune femme depuis un bon quart d'heure déjà, l'homme au visage joufflu et aux relents d'alcool qui jusque-là s'était évertué à chanter en karaoké d'une voix insupportablement fausse, s'était rapproché d'eux sans grâce aucune, pour faire mine de les écouter d'un air roublard, et avait commencé à les imiter par des mimiques balourdes, effectuant une sorte de contrepoint parodique et muet en guise de ponctuation à chacune de leurs phrases, sans autre but apparent que d'interrompre leur conversation.

« Hé, tu sais que tu me rappelles quelqu'un, toi ? », proféra-t-il en se penchant sous le nez de David comme un ivrogne prêt à s'effondrer sur lui. « Une star old school, héhé...Allez, dis un nom ! »

David ne voulait pas lui répondre, mais le « fâcheux » («le... bouffon !» : David trouva en pensée le mot juste) le scrutait de près avec insistance. Il était vraiment laid.

« Ah bon ? Alors, à qui ? », fit David, contrarié par l'indélicate intrusion du « bouffon ».

« Fernandel ! C'est ça, il ressemble à Fernandel », dit l'autre à l'intention de Teresa, qui était revenue entretemps, car elle en avait un peu marre de se faire reluquer sans finesse par les mâles postés devant la porte du salon et obstruant le passage. L'interlocutrice de David s'éclipsa discrètement.

« Oui, voilà ! Héhéhéééééé... ! Ferrrrrrrrrrrnandel... ! », poursuivit le bouffon avec un rire sardonique.

« Très drôle ! » David, un verre à la main, cherchait à s'échapper.

Le bouffon s'adressait toujours à Teresa, rebutée par son parfum d'alcool : « Bah, il est vraiment pas drôle, ton copain : pourquoi y rigole pas ?» Puis, grimaçant vers David, il se mit à bêler comme une chèvre : « Bêêêêêh... bêêêêêêh ! Ah ah ah ! Je me demande s'il sait faire la chèvre ? Bêêêêêêh... ! »

Mais le comte, opportunément réapparu, écarta l'ivrogne : « Allez, ça suffit ! Laisse-les tranquilles, toi ! »

Les choses en restèrent là, et la soirée se déroula convenablement jusqu'à son terme. Teresa, comme dans toutes les occasions de ce genre, s'y était sentie dans son élément. Elle aimait se mettre en valeur auprès de la gent masculine, occuper le centre des regards, en animant chaque groupe de sa gaieté naturelle. Notamment, elle resta longuement à discuter avec Marie, la femme du comte. David pouvait paraître plus introverti, mais il était assez sociable à sa façon distante et réservée.

Le seul ennui, finalement, était l'attitude du comte, qui, lorsqu'il n'était plus auprès de la quadragénaire plantureuse, « draguait » Teresa sans retenue, et il n'était pas le seul.

« Regardez-moi cette belle plante », disait-il à sa petite « troupe », trois « gaillards » un peu éméchés et ricanant, « on ne va quand même pas la laisser s'ennuyer toute seule ! Hé ! Duc ! Tu nous la prêtes pour une danse ? »

Mais comme le « duc », sur lequel une autre femme venait encore de jeter son dévolu à l'autre bout de la pièce, ne pouvait ni les voir ni les entendre à cet instant, Teresa faisait mine de prendre la chose avec humour, et ressentit un extrême soulagement lorsque Marie vint foudroyer le comte d'un regard menaçant.

***

Il était très tard quand David et Teresa rejoignirent leur chambre à l'étage. On leur avait en effet préparé une chambre, il y en avait tant dans le château, ce n'était pas la place qui manquait, d'autant moins que certains parmi les invités logeaient dans l'une des dépendances entourant le château, et que d'autres prenaient congé pour regagner en voiture l'hôtel qu'ils avaient réservé dans le hameau le plus proche. D'autres, encore, étaient tout simplement des habitants du coin, des voisins, pour ainsi dire. Mais le comte avait insisté pour que ses deux hôtes passent la nuit dans son château.

Cette chambre à coucher était un véritable honneur qu'on leur faisait. Teresa s'interrogeait d'ailleurs sur les mobiles qui se cachaient derrière les égards dont ils faisaient l'objet alors qu'ils étaient, de tous les convives, ceux qui étaient le moins proches du comte. Mais il n'était pas difficile d'attribuer cette hospitalité à la sociabilité joviale et sans raffinement de ce dernier.

Une fois seule avec David, Teresa se renfrogna un peu : « Qu'est-ce qu'il y a, dit-il, quelque chose ne va pas ? »

« David, allons-nous en demain. Je n'aime pas ces gens. »

« Mais bien sûr ».

Il n'était de toute façon pas question, pour David, de s'attarder chez leurs hôtes. Après tout, leur séjour n'était dû qu'à un concours de circonstance, dont il n'eût su dire s'il était fortuné ou infortuné.

Mais Teresa n'était pas tout-à-fait de bonne foi. Car plusieurs raisons lui inspiraient la vague envie de rester encore un peu. Sans rien en confier à David, elle éprouvait de la rancune à son égard pour n'avoir pas su, par sa coupable négligence, la protéger du comte et de son inconvenante grossièreté. Aussi, ces moments de sociabilité étaient-ils pour elle l'occasion de faire « payer » David, et de feindre l'indifférence, au moins provisoirement.

Et puis, Ferrand l'intriguait, elle était curieuse d'en savoir plus sur lui, et sa femme.

Peut-être enfin cherchait-elle à tester la jalousie de son amant, à le mettre à l'épreuve. Au fond, elle sentait qu'il ne lui était pas totalement acquis, et cette blessure narcissique nourrissait en elle un certain ressentiment, voire même, sans qu'elle osât vraiment se l'avouer, un sourd désir de vengeance.

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