Histoire : Blaze Zero

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Histoire


Histoire ajoutée le 20/11/2015
Épisode ajouté le 20/11/2015
Mise-à-jour le 03/07/2021

Blaze Zero

Bonsoir,

Comme j'avais mis en preview à la fin de La Justicière, je suis en train de bosser sur une nouvelle histoire dont voici le premier chapitre ! Quelques petits avertissements cependant :

Cette histoire est directement liée à La Justicière, il s'agit d'une préquelle. Aussi je conseille vivement à ceux qui n'ont pas lu La Justicière de commencer par là, sinon vous risquez de vous faire salement spoiler :p

Je m'essaye à un style d'écriture différent ici, et le ton y est beaucoup plus sombre qu'avant. Pour comparer, disons que si La Justicière s'inspirait de Arrow, là on est plus proche de DareDevil ou de Sin City dans l'ambiance. Vous serez prévenus !

Ah, et pour les scènes de chatouilles, je préfère prévenir tout de suite, il risque de ne pas y en avoir des masses. J'ai préféré me concentrer sur l'histoire, les scènes de chatouilles je les case après coup en les mettant bien en retrait pour conserver l'ambiance.

Donc voilà, j'espère que ça vous plaira !


Chapitre 1: Pulsions suicidaires

Putain j’ai mal au crâne… je sais pas ce que j’ai, mais ça me tape tellement la gueule que j’ai l’impression que la tuyauterie va exploser là-dedans. J’ai tellement mal que j’arrive pas à ouvrir les yeux. J’essaye de rouler sur le côté pour me soulager, et là c’est une douleur vive, comme si on m’avait enfoncé un fer à souder dans les côtes. Je grogne, et ça me réveille complètement. Oh, et puis en plus cette putain de couverture me gratte ! Mais c’est pas ma couverture ? Où est-ce que je suis, là ?
Malgré ma tête lourde comme une boule de bowling, je me force à ouvrir les yeux, et je me retrouve complètement perdue quand je me rends compte que je sais pas du tout où je suis. Une espèce de petit studio miteux, éclairé par une pauvre ampoule qui a l’air d’être sur le point de claquer d’une seconde à l’autre. Il y a plein de vaisselle sale dans l’évier, la vieille tapisserie dégueulasse part en lambeaux, et le lit est en fait un clic-clac dont les ressorts craquent à chaque mouvement, avec une vieille couverture qui gratte. Mais chez qui j’ai débarqué ?

J’essaye de me redresser sur mes coudes, et une douleur intense me transperce le bide, je peux pas me retenir de grogner, je serre les dents, ça passe. À côté du lit il y a une chaise sur laquelle je vois ma tenue de combat, un bomber noir en faux cuir et une cagoule. Ouais, je sais, ça fait prolo comme tenue de combat, mais je fais avec ce que j’ai. Et sur le dossier de la chaise il y a une veste en jean sans manches, comme les vestes à patchs des métalleux de la vieille école. Il y a même un petit drapeau Sudiste cousu au niveau de la poitrine. Je sais pas chez qui j’ai débarqué ni comment, mais j’adore Pantera, si je suis tombée chez un métalleux on va bien s’entendre. Curieuse, je tends le bras pour saisir la veste et la tourne pour voir ce qu’il y a au dos, et d’un seul coup, je m’arrête de respirer. Ouais, il y a bien des patchs, mais pas ceux auxquels je m’attendais : l’écusson central est grand et représente une sorte de caricature de Mexicain en sombrero armé d’un pistolet et d’un sabre. Et autour, d’autres patchs portent les mentions :

BANDIDOS MC – CALIFORNIA

Et merde. Ça c’est pas bon… j’ai pas le temps de me demander dans quelle merde je me suis fourrée que je sursaute en entendant la porte d’entrée s’ouvrir, ce qui me vaut une autre sensation de coup de poignard dans le bide. Le type qui vient d’entrer est grand et baraqué, mais c’est aussi un vieux gras du bide, portant une grosse barbe rousse et un bandana orné de têtes de mort autour des cheveux. Par contre, son blouson claque sévère, un véritable Perfecto, avec des motifs de flammes jaunes et rouges sur les bras et les épaules. Je peux pas m’empêcher de le regarder avec envie, trop la classe ce blouson !

_ Alors, t’es réveillée petite ? demande-t-il en me faisant un sourire et en posant le sac en papier brun qu’il portait sur le lit et en enlevant son blouson avant de s’asseoir sur un tabouret près de moi. Comment tu te sens ?

Je vois ses énormes bras couverts de tatouages qui dépassent de son t-shirt AC/DC et la grosse chevalière « 1% » qu’il porte à la main droite, et je me méfie. Aucun doute, la veste à patchs est à lui, ce qui veut dire que c’est pas le genre de mec très digne de confiance.

_ Vous êtes qui ? je demande en me redressant encore un peu, ce qui fait glisser la couverture et je me rends compte que j’ai les nichons à l’air !

_ Hé ! Je me mets à crier en rabattant la couverture sur moi, grimaçant en sentant un nouveau coup de poignard. Vous m’avez fait quoi, espèce de gros porc ? Je suis à poil !

_ Hé hé hé, du calme, du calme petite ! Fallait bien que je te déshabille pour pouvoir te rafistoler, c’est tout, j’ai rien fait d’autre !

_ Me quoi ?

Confuse, je me décide enfin à regarder sous la couverture pour voir, sur mon ventre, là où j’ai mal, un gros pansement avec une tache brune au milieu indiquant que ça avait saigné en-dessous.

_ Il s’est passé quoi ? je demande.

_ Tu t’es pris un coup de couteau. Heureusement, c’était pas profond, ça saignait un peu mais sans plus. Tu t’en souviens probablement pas parce que le gars qui t’a fait ça t’a aussi mis un sacré pain dans la gueule. Je passais par-là, j’ai entendu du bruit dans une ruelle, quand je suis arrivé t’étais inconsciente contre une poubelle. Les mecs qui t’ont tabassée se sont barrés en courant. Du coup je t’ai ramenée ici, quand j’ai vu que ton blouson pissait le sang je t’ai déshabillée tout de suite. Et en fait j’ai pas hésité, parce que comme t’avais une cagoule, je croyais que…

Sa phrase s’arrête, il hésite, et me regarde l’air gêné avant de finir :

_ Que t’étais un mec.

_ Ouais, je dis, c’est le but. Comme ça les mecs savent pas ce qui leur tombe dessus… ouais, je sais, là c’est moi qui me suis fait tabasser, mais d’habitude c’est l’inverse…

_ Alors dis-moi, tu dois avoir quoi, dix-sept, dix-huit ?

_ Dix-sept.

_ Tu pourrais être ma fille, si j’en avais une. Alors, qu’est-ce qu’une gamine de dix-sept ans fait à se balader la nuit dans les Projects, masquée, à chercher la bagarre avec les petites frappes du coin ? Des pulsions suicidaires ?

_ Insomnie. Quand j’arrive pas à dormir, je sors et je tape sur des gens. Ça détend.

Il laisse échapper un petit rire surpris, puis répond :

_ Ah ouais, t’es comme ça toi ?

_ Me juge pas, c’est pas comme si je faisais quelque chose de mal… je vise que les mecs bourrés qui emmerdent les filles, les voleurs à la tire, enfin tu vois, que les mecs qui l’ont cherché.

_ Du coup t’es quoi, un genre de justicière ?

_ Ouais, on peut dire ça comme ça, je dis en laissant échapper un petit rire à mon tour. Un genre de Batman prolo.

_ Et ça fait longtemps que ça dure ?

_ Ça va faire deux semaines.

_ Franchement je suis étonné que t’aies survécu autant de temps. Soit t’as vraiment de la chatte, soit t’es plus douée que t’en as l’air. Je te demanderais bien pourquoi tu joues à ce jeu-là, mais s’il y a bien une chose que j’ai apprise avec le temps, c’est que chacun a sa croix à porter, et c’est pas mes oignons. T’as faim ?

Il se penche pour choper le sac posé sur le lit et en sort une boîte de poulet KFC et un grand Coca. La vache, ouais j’ai faim ! J’accepte avec plaisir et je croque goulûment dans un blanc de poulet. Qu’est-ce que ça fait du bien !

_ Et toi, t’es MC ? je demande en pointant la veste à patchs du regard.

_ Ouais enfin, plus ou moins à la retraite. Je me suis posé on va dire, je me suis installé dans le coin pour ouvrir mon atelier de réparation moto.

_ Dans les Projects ? Drôle d’endroit pour ouvrir un garage…

_ C’est pas cher.

_ Moi qui croyais que tous les MC étaient des dealers ou des racketteurs…

_ Hé, faut pas croire tout ce que tu vois dans Sons of Anarchy, petite. Au fait, moi c’est Burton Douglas, mais tout le monde m’appelle Burt.

Il me tend la main en disant ça. J’hésite juste une seconde. Ouais, j’ai toujours entendu que les MC étaient des gens dangereux, des criminels… le genre de gens contre qui je devrais me battre. Mais lui, il m’a ramenée chez lui, et alors que j’étais inconsciente et qu’il aurait pu me faire ce qu’il voulait, il m’a juste rafistolée et même payé à bouffer. Il a l’air d’un gars bien. Alors je lui serre la main, et je lui réponds :

_ Moi c’est Danielle. Mais tout le monde m’appelle Cass.


En fait, on a passé une bonne soirée. Après avoir mangé, je me suis sentie mieux, je me suis rhabillée, et je me suis levée du lit pour m’asseoir sur la chaise. Il m’a offert une bière. J’ai pas l’habitude de boire de l’alcool, et ça commence à doucement me chauffer la gueule, mais ça va, je me sens juste bien, et même si ça me fait mal au bide, je rigole comme une tordue tandis qu’il me raconte la fois où avec son club ils ont été embauchés pour faire la sécu à un concert de Megadeth :

_ Et alors là le gérant de la salle vient nous demander ce que fout Dave, ça fait une demi-heure qu’on l’attend sur scène. Alors moi, avec Ziggy, on lui dit que nan, il va arriver, c’est juste qu’il a besoin d’un temps pour méditer avant de monter sur scène. Et là le gérant il nous sort, blasé : ouais il est en train de dégueuler dans les chiottes, quoi.

J’éclate de rire.

_ Et c’était vrai ? je demande.

_ Bien sûr que c’était vrai ! Avec Ziggy on savait plus où se mettre. Finalement on a réussi à sortir Dave des chiottes et à le faire monter sur scène, il était tellement bourré qu’il arrivait pas à aligner deux notes, un vrai scandale, les fans ont commencé à démolir la salle, il a fallu évacuer les mecs du groupe en urgence, à moto et tout ! Moi je trimballais Dave à l’arrière de ma Dyna-Glide, mais ce con a pas supporté les virages, et il a gerbé sur ma veste. Je te jure, le seul truc qui m’a empêché de lui casser la gueule, c’était de me dire que c’est le mec qui a fait Countdown et que c’est quand même un foutu bon album.

_ Ouais, il fait quand même de la sacrée musique !

_ C’est sûr, dommage que ce soit un connard…

_ Oh merde, je dis en regardant mon portable, il commence à être vachement tard !

_ Ta mère va s’inquiéter ?

_ Elle sait pas que je suis sortie… je suis devenue assez douée pour entrer et sortir de l’appart en mode ninja… mais faut quand même que je dorme un peu, j’ai école demain, et j’ai pas envie que ma mère se fasse convoquer par l’assistante sociale parce que je dors en cours. Je suis déjà assez grillée comme ça dans mon bahut.

Je commence à me lever, et là il se lève à son tour et met une main sur mon épaule pour me retenir.

_ Cass ? Avant que tu partes faut que je te dise un truc…

_ Oui ?

_ Je sais pas pourquoi tu fais ça, sortir la nuit et chercher les embrouilles, mais je te le dis petite, j’ai grandi dans la rue, j’ai roulé pendant vingt ans avec les Bandidos, et c’est pas une vie que je souhaite à une gamine. T’as encore le temps d’arrêter, et de mener une vie normale.

_ Tu as raison, je dis en repoussant sa main, tu ne sais pas pourquoi je fais ça.

_ Attends ! dit-il en m’attrapant le bras avant que j’atteigne la sortie.

Je me braque, j’aime pas ça du tout. Mais il me relâche tout de suite et me dit en sortant une carte de sa poche :

_ Voilà l’adresse de mon garage. Le studio est dans l’immeuble juste à côté, si tu vis dans le quartier tu retrouveras facilement ton chemin. Hésite pas à revenir me voir si t’as besoin d’un coup de main.


Le lycée… j’ai horreur du lycée. Je marche dans les couloirs, et tout ce que je vois, c’est des ados insouciants, ils vont en cours en souriant, ils rigolent avec leurs amis, tombent amoureux, rompent, pensent que c’est la fin du monde, mais à la fin de la journée, ils rentrent quand même dans leurs quartiers tranquilles, avec leurs familles aimantes, et dorment bien tranquillement, sans se soucier de la merde qui se passe autour d’eux la nuit. Sans penser un seul instant qu’une vie bien tranquille peut changer à tout jamais à cause d’une mauvaise rencontre, à cause d’un alcoolique, d’un violent. Et ils me regardent tous avec horreur. Je sais très bien ce qu’ils pensent : Cass la méchante, Cass la racaille, Cass le monstre… tout ça parce que moi, j’ai compris que la vie, c’est un combat, ne rien prendre pour acquis, tu perds, tu bouffes la poussière.

Je croise le regard de ce garçon en train de bavarder gaiement avec ses copains, et un frisson de dégoût me traverse. Je n’aime personne dans ce bahut de débiles, mais il n’y en a aucun que je déteste autant que Thad Lambert. Sale petite merde de bourge, tu te crois tellement supérieur à tout le monde ? La seule chose que j’aimais dans ce lycée, la seule chose qui me faisait du bien, il a fallu que tu me la prennes, et tout ça pourquoi ? Pour te faire mousser un peu plus, pour attirer encore plus le regard des jolies filles ? T’as eu de la chance, j’aurais pu te démolir. Mais je te le promets, donne-moi un seul prétexte, et je détruis ta sale gueule de blondinet.

J’ai besoin de me défouler, là. Et de thunes pour mes clopes aussi. Je regarde autour de moi et je vois une cible. Jared. Un habitué, si on peut dire. Son père est avocat, sa mère psychologue. Il est pas très grand, pas très costaud, il a pas du tout de répondant, et il est super maladroit avec les filles, bref, un mou du froc cajolé par des parents libéraux de la classe moyenne. Tout ce que je déteste, en gros.

_ Jared, je lui dis d’une voix brusque en venant me coller très près de lui.

Il sursaute en entendant ma voix, et se retourne vers moi avec un regard terrifié. Ce garçon est un poil plus grand que moi. Mais je m’avance vers lui, de plus en plus près, en bombant le torse et en levant les épaules, tout en gardant les pouces dans les poches de mon jean pour avoir l’air décontractée, et ça fonctionne, il se fait tout petit, et recule, recule, jusqu’à ce qu’il se retrouve acculé contre les casiers.

_ Oh, salut Cass, qu’il me dit d’une voix toute tremblante. Comment ça va ?

_ Besoin de thunes, file-moi ce que t’as.

_ J’ai plus rien Cass, je suis à sec.

_ Comment ça, à sec ? Tu serais pas en train de me raconter des cracks là ?

_ Non non non ! Je te jure, y’a… tu sais, ce nouveau ? Mike Costello ? Oh c’est une sacrée brute lui aussi, il m’a piqué mon fric déjà… et celui de Nancy, et d’Eliott…

_ Eliott ? Eliott Lars ?

_ Ouais, je te dis, c’est un caïd, il est en train de faire sa loi…

Il continue de me parler, mais déjà je l’entends plus… j’ai le cœur qui bat à cent à l’heure… j’ai super mal aux mains, et je me rends compte que j’ai serré les poings comme une bourrine, par réflexe. Je la sens arriver, cette sensation qui vient tous les soirs, quand je sors… qui s’empare de moi, j’entends plus rien, je comprends plus rien, faut juste que je lui obéisse… la haine… non, non, faut que je la contrôle… je prends une grande inspiration, et je demande à Jared où je peux trouver ce Mike Costello. Puis je pars à sa recherche.

Eliott Lars est un gamin de seconde avec de graves problèmes de dos qui font qu’il ne peut marcher qu’avec des béquilles. Je prétends pas être une sainte, je sais que je frappe les autres pour leur piquer leur fric et m’acheter des clopes, je sais que c’est mal, le psychologue scolaire me l’a déjà dit, merci. Mais j’attaque pas les handicapés. Ni les gosses de divorcés, ni ceux dont un parent est mort, ni les pauvres qui vivent dans les Projects comme moi. Je m’en prends pas à ceux qui ont une vie plus pourrie que la mienne, c’est un principe. Seulement les gosses de riches qui s’y croient et dont le sourire niais me fout la gerbe.

Je trouve Mike à son casier, et je suis pas mal déçue. Un blondinet, plutôt baraqué, mais gras, avec un visage tremblotant comme une gelée de fruits. Je vois…

_ C’est toi, Mike Costello ?

Il se retourne et me lance un regard en coin, avec un petit sourire.

_ Ouais, qu’il me dit en essayant de prendre un air cool. Et t’es qui, poupée ?

_ Donc, c’est toi le nouveau caïd de l’école ? je dis en me rapprochant lentement. D’accord, laisse-moi deviner : fils unique, pavillon de banlieue classe, père qui travaille trop, mère poule qui compense en cédant à tous tes caprices. Elle te fait croire depuis que t’es gamin que t’es le roi du monde, mais tu te rends compte qu’à l’école, les mecs se foutent de ta gueule à cause de ton poids, les filles t’adressent même pas la parole. T’as peur de passer pour un bouffon, alors tu te défends en jouant les gros durs et en t’attaquant à n’importe qui. Tout le monde a peur de toi et tu crois que c’est ça le respect, mais tu te rends pas compte que tu seras jamais qu’une petite merde que tout le monde déteste.

Il est acculé contre son casier maintenant, et je vois le changement dans ses yeux, son petit regard arrogant a totalement disparu. Il s’attendait pas du tout à ça.

_ Hé, m-m-mais p-p-pour qui tu te prends ? il me sort en essayant d’avoir l’air agressif. T’as de la chance ma poule, j’aime pas cogner les filles, alors dégage et il t’arrivera rien !

Mon poing part à la vitesse de l’éclair, et passe très près de lui sans le toucher. Je le visais pas. C’est son casier, derrière, que je visais, et la porte en aluminium se pète en faisant un bruit affreux qui résonne dans tout le couloir. Il sursaute, et se recroqueville comme un lâche, et je vois qu’il est sur le point de se pisser dessus. Je lui demande de me filer le fric qu’il a piqué aux autres, et il hésite pas une seconde à obéir. Je sais très bien ce qui va se passer après : il va aller chialer devant sa mère, qui va venir gueuler chez le principal comme quoi son gentil petit garçon se fait racketter par une brute. Mais ça s’arrêtera là. Jamais il me balancera, parce qu’il aura trop honte de s’être fait racketter par une fille. Et dès demain, dès qu’il me croisera, il baissera la tête.

Je repars, satisfaite, mais je me suis à peine retournée que je croise le regard dédaigneux d’une brune bien sapée qui croise les bras, l’air hautain.

_ Danielle Cassidy, qu’elle me dit, toujours à faire ce qu’elle fait de mieux, la violence et l’intimidation.

Sally Lomax. Elle est canon. Elle est populaire. Elle est capitaine de l’équipe de basket, elle est super sympa avec tout le monde, elle écrit dans le journal du lycée, elle a plein de copines, tous les mecs lui courent après. Miss Parfaite. C’est pour ça que je la déteste. Elle m’a virée de l’équipe de basket, et je sais très bien pourquoi. Les gens comme moi la dérangent. Je détone dans son petit monde de bisounours. Je remarque qu’elle a une poignée de flyers à la main.

_ Ta campagne de présidente des élèves ? je lui demande.

_ Inutile de te demander si tu vas voter pour moi, me répond-elle toujours sur ce même ton méprisant.

_ Tu peux crever, que je lui réponds avant de m’éloigner.

Même si j’en ai très envie, je la cogne pas. Elle en vaut pas la peine, je préfère partir. La sonnerie retentit pour les cours de la matinée. Merde, mes clopes ! J’espère que Skudz sera toujours là à la pause de midi.
Les cours passent lentement, c’est une horreur. Je suis nulle en classe, j’aime pas ça, et ça sert à rien. Je connais assez de gens dans les Projects pour savoir que quand on y vit, on en sort pas. Enfin, la pause de midi. J’arrive à choper Eliott pour lui rendre son fric, et avec le reste, je me rends derrière le gymnase où Skudz deale d’habitude. Heureusement, il est toujours là et j’arrive à avoir mes deux paquets de Dunhill. Les cours de l’après-midi se passent, et je deviens de plus en plus impatiente. J’ai trop hâte que la nuit tombe. C’est là que la vraie vie commence pour moi.

Je rentre chez moi, j’avale rapidement mon dîner en évitant le plus possible de parler à ma mère, puis je vais dans ma chambre pour faire des parties de Streets Of Rage sur mon PC en attendant qu’il soit assez tard. Enfin, quand je suis sûre que ma mère s’est endormie, j’enfile ma tenue : un jean noir, des rangers, un bomber noir, des gants, une cagoule. Simple. Efficace. On me reconnaît pas et on me prendrait facilement pour un mec. Puis je me faufile hors de l’appart et je pars arpenter les rues des Projects.
Comme tous les soirs, je me dirige vers le coin le plus mal famé, la rue des bars. Dans ce quartier de HLM minable, toutes les rues sont mal famées, mais la rue des bars, c’est la pire. Je garde la cagoule repliée sur ma tête, comme un bonnet, pour pas attirer l’attention. Le sac qui contient ma batte de baseball tape contre ma jambe à chacun de mes pas. J’observe, partout autour, et j’attends. Une proie. Au bout d’un moment, je finis par voir un couple sortir d’un bar. J’observe de loin. J’entends pas ce qu’ils disent, mais la fille n’a pas l’air à l’aise avec ce mec, mais en même temps, elle semble attirée et ne peut s’empêcher de le suivre. Je devine que cette nana n’a pas eu de rencard depuis un bail, elle se sentait seule, alors elle est allée sur Tinder se trouver un mec à peu près potable, et l’a rencontré dans ce bar sans se douter des intentions de son prince charmant. Des viols de ce genre, dans les Projects, il y en a pratiquement tous les jours. Je suis de loin, on sait jamais, je me goure peut-être. Mais quand le mec l’entraîne dans une ruelle sombre, il n’y a plus aucun doute. Alors je rabats la cagoule sur mon visage, et je passe à l’attaque.

Quand j’arrive dans la ruelle, le mec avait déjà plaqué la fille contre un mur, avec une main sur sa bouche pour l’empêcher de crier. Il ne m’entend pas arriver. Je sens de nouveau mon coeur qui bat la chamade, cette haine qui m'envahit, sauf que cette fois, je n'ai plus besoin de la contenir. Je peux la laisser sortir, s'exprimer, je peux m'en libérer. Je lui fonce dessus, je l’attrape par l’épaule et le tourne pour qu’il me fasse face. Dans la surprise, il lâche prise. Je ne lui laisse pas le temps de ressaisir, et je l’enchaîne avec un direct dans le pif, et un autre, et un autre. Mon bide me brûle à chaque coup, me rappelant ma blessure d’hier soir. J’aurais peut-être pas dû sortir ce soir, mais l’envie était trop forte. J’étale le mec sans problème. Même avec ma blessure, un crétin comme lui, c’est une proie facile.

Puis arrive le moment magique : je vois la fille, choquée, incapable de parler, dont le regard va de son agresseur à moi, qui ne saisit pas vraiment ce qui vient de se passer. Je vois par terre, gémissant de douleur, une ordure qui a bien cherché ce qui lui est arrivé. Et je croise de nouveau le regard de la fille, et dans ses yeux, mêlée à la peur, je sens de la gratitude. Et la sensation arrive, celle dont je suis tombée accro : la haine qui redescend, et pour la première fois depuis longtemps, je me sens… bien.

Cette sensation ne dure jamais très longtemps, je le sais. Mais ce soir, elle aura duré vraiment, vraiment peu de temps. Parce que tout de suite après, je vois la fille partir en courant vers l’autre bout de la ruelle, et c’est là que je remarque trois autres mecs venir vers moi depuis l’entrée que j’ai prise. Merde, il avait des copains, c’était un coup monté à plusieurs. OK. Pas de panique. Je sors ma batte de baseball de mon sac. Sûrement, avec ça je peux gérer trois agresseurs, non ?


Putain mais quelle conne ! Pourquoi je suis pas partie en courant avec la fille ? Il a fallu que je fasse la maligne, encore une fois. Et j’ai encore failli y rester. Heureusement, ils ont pas insisté, et ils se sont barrés quand ils ont vu que je bougeais plus. Ils ont vengé leur pote, m’ont foutu une bonne raclée, ça leur a suffi. J’ai eu chaud. J’ai du mal à respirer, je suis pliée en deux tellement j’ai mal au bide, et la sensation chaud et humide sous mon blouson m’indique que ma plaie s’est rouverte. En plus de ça, j’ai du sang dans l’œil parce qu’ils m’ont ouvert l’arcade, et je vais sûrement avoir un cocard à expliquer demain. Malgré tout, j’arrive à me relever, et je titube tant bien que mal jusqu’au refuge. Les urgences ? Même pas en rêve, ma mère n’a pas les moyens. Et en plus, elle saurait ce que je fais de mes nuits, et c’est hors de question. J’ai qu’une seule autre option, et enfin, folle de douleur et soufflant comme un bœuf, j’arrive devant le bâtiment qui porte l’enseigne :

Douglas Motors : Réparations tous types de motos

Il y a de la lumière à l’intérieur, j’ai de la chance ! Je rentre, je le vois à genoux dans son atelier, en train de bidouiller un moteur. Il lève la tête en m’entendant entrer, et il lâche ses outils en me voyant.

_ Bon Dieu, mais qu’est-ce qui t’est arrivée, petite ? s’écrie-t-il, blême.

_ Burt, je lui dis en haletant… je crois que finalement, je vais avoir besoin d’un coup de main.

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