Histoire : Les lettres sibyllines (histoire complète )

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Histoire ajoutée le 19/09/2018
Épisode ajouté le 19/09/2018
Mise-à-jour le 03/07/2021

Les lettres sibyllines (histoire complète )

Les lettres sibyllines





Il n’y a pas d’amour

(Pas vraiment, pas assez)

Nous vivons sans secours,

Nous mourons délaissés.



M. H.




1





Elle avait fait un rêve vraiment étrange cette nuit-là, si bien qu' au réveil il fallut quelques secondes à Claudine avant de se sentir vivre dans la réalité. Pourtant elle avait l' habitude des rêves bizarres depuis qu' elle dormait seule. Ses pieds nues trouvèrent difficilement les chaussons au bas du lit. Elle se leva. C' était l' heure d' aller travailler au PTT. Tout le monde la connaissait à cause de sa fonction car à cette époque la poste faisait partie des hauts-lieux de la vie d' un village. Mais sa réputation allait bien au-delà, si vous demandez à un habitant de ce petit bourg de campagne, il vous dira certainement que Claudine est un peu...comment dire...un peu spéciale...mais que bon... faut pas lui en vouloir, c' est surtout depuis la mort de son mari. Claudine tomba veuve très jeune, elle avait à peine 30 ans lorsque Georges trouva la mort par accident, électrocuté en voulant intervenir lui-même sur le circuit d' éclairage de la maison. Les normes de sécurité électrique étaient rudimentaires à l' époque. Heureusement, elle était absente quand cela se produisit. L' ironie, pensait-elle souvent, c' est que le monde est en train de devenir tout électrique, comme cette nouvelle cafetière qu' elle venait d' acheter. Elle se servit un café, s' assit, et repensa à l' enterrement. Tout le village ou presque était là, certaine personne lui était totalement inconnu. Au début de l' office, alors que le silence était de glace et qu' elle avait pris place sur un banc de l' église, près du cercueil, emmitouflée dans ses sanglots, morte de chagrin en pensant que Georges, son Georges, l' homme qu' elle aimait était parti pour toujours, le curé avait commencé son discours en disant " Georges s' est éteint..." et c' est à ce moment là qu' elle fut prise d' un fou rire. C' était idiot. Elle avait pensé à la manière dont Georges se tua, en voulant allumer la lumière, et son esprit torturé par la tristesse avait imaginé un bref instant la scène d' un curé disant " Georges s' est éteint... en allumant..." ! L' idée de cette blague stupide dans ce moment sérieux avait commencé à la faire rire, elle qui pleurait depuis des heures, puis les rires et les sanglot s' entrelacèrent et elle finit par ne plus pouvoir se contenir. Le fou rire donc. En repensant à ça, Claudine secoua la tête et bue une gorgé de café. George avait été l' amour de sa vie. Et sa vie maintenant se résumait à peu de chose. Certes elle vivait bien, entre son métier, son jardin, ses fleurs, ses chats, elle partageait parfois quelques moments avec des collègues. Le peu de famille qu' elle avait n' habitaient pas dans la région, ils étaient plus ou moins fâchés, et ne se voyaient qu' exceptionnellement. Les hommes s' étaient bousculés après la mort de son mari, il faut dire que Claudine, en plus d' avoir du charme, était sans enfants. Elle refusa de nombreuses avances, si bien que les mâles, vexés, se mirent à raconter n' importe quoi sur elle, faisant ainsi enfler une réputation d' infréquentable déjà bien établie après l' enterrement. Il ne fallu pas longtemps pour qu' on ne la classe plus parmi les gens socialement correct.

Aujourd’hui, 7 ans plus tard, Claudine faisait partie des célébrités du village dans la catégorie excentrique. Elle s' en foutait. De toute façon elle avait toujours eu le sentiment d' être à part. Depuis toute petite en fait. C' est à cause du truc qu' elle a. Comment l' appeler ? Il n' a pas de nom ce désir étrange. C' est un fantasme sexuel, ça elle le sait, mais sa nature est tellement originale. Claudine pensait que sa sexualité était unique. Et comment aurait-elle pu penser le contraire ? Dans quelques années, l' ordinateur se répandra dans les foyers, puis internet changera les relations humaines, et elle pourrait se rendre compte qu' elle n' est pas seule à ressentir cette attirance. Mais pour l' instant, impossible pour elle de ne pas se sentir comme un accident. C' est hors norme, elle n' en avait jamais parler à personne, même pas à Georges ! Comme elle le regrettait ! Pourtant ils avaient pris du bon temps tout les deux. Elle n' avait jamais pu trouver les mots ou les gestes pour lui confier ses désirs personnels les plus extravagants. Ne pas avoir avoué son truc à l' homme qu' elle aimait lui pesait beaucoup sur le cœur. Elle allait assez souvent visiter Georges là où il était, et un jour elle avait eu besoin de lui dire, c' était durant une de ces phases où l' envie de réaliser ses fantasmes devenait si intense, ainsi quant elle se trouva agenouillée devant la tombe, par un bel après-midi d' automne, solitaire dans le silence du cimetière, avec pour seul témoin l' éternité du lieu, elle lui avait dit à voix basse son secret. Mais au fond c' était trop tard. Maintenant il n' y avait plus de place pour le risque dans sa vie, son futur était prévisible en tout point. Rien de dépressif la-dedans, au contraire Claudine aimait la vie. Non, juste de la résignation, c' était comme ça, c' est tout. Il faut regarder les choses en face comme elle disait, sa vie avait connu de grande période et maintenant elle allait s' écouler calmement, toujours pareil de saison en saison, sans surprise, sans amour surtout, car elle avait coupé court aux quelques relations commencées après son deuil tant ces hommes étaient loin de ce qu' elle recherchait vraiment.

C' est dans cet état d' esprit que Claudine sortit de chez elle ce matin-là pour aller travailler. La nuit était encore noire, elle s' arrêta un moment pour regarder les étoiles. Il y en avait plein, vacillantes comme des chandelles. La vie ne lui amènerait plus rien, il ne pouvait en être autrement et c' était très bien comme ça, pas de rebondissement, tout continuera sans que rien ne dépasse, la bataille des sentiments était derrière elle, son cœur ne s' affolerait plus. Mais Claudine se trompait. La vie ne l' avait pas abandonner. Et quelque soit la nature des forces qui régissent nos destinés, celles-ci allaient bientôt, à nouveau, se manifester.




2





On ne sait jamais vraiment quel est le véritable point de départ des choses. Tout n' est qu' une suite de conséquences depuis la nuit des temps. Mais lorsqu' elle entendit qu' un petit tumulte prenait naissance vers la zone de trie, Claudine s' approcha. Le nœud de l' affaire semblait être une lettre dont visiblement personne ne voulait.

- Que se passe-t-il ? demanda-t-elle

- Tu vois la maison abandonnée au delà du village ? lui répondit Marie en levant le bras dans la pièce pour pointé du doigt une direction.

- Heu..non...

- Mais si, reprit Marie, tu vois la maison du maire ?

- Oui.

- Et bien tu continues sur la rue, ça devient un chemin, après tu passes sur un petit pont...

- Ha oui, il y a une veille grange sur le coté !

- C' est ça ! Tu continues et à un moment tu rentres dans la foret, tu vois ?

Claudine voyait bien. Si on empruntait le chemin sur un kilomètres à travers la foret il finissait par déboucher sur le coté d' une national. Mais pas la peine d' aller si loin...

- Oui,oui, je vois.

- Et bien c' est là ! 500 mètres après que tu sois rentré dans la foret, il y a un autre chemin qui part sur la droite, dit Marie satisfaite d' avoir bien indiqué la route.

Claudine était rêveuse, elle était allée là-bas quelque fois et dans son souvenir la demeure, bien qu' imposante, était très délabré.

- Ok je vois, il y a une maison abandonné au bout du chemin.

Bin faut croire qu' elle n' est plus abandonnée, balança l' un des postiers en montrant la lettre, ce qui fit rire et relança le débat de qui le prendrait en charge.

En s' approchant de la lettre Claudine comprit immédiatement le problème, l' adresse faisait partie de la tournée de Maximilien, en congé cette semaine, et aucun de ceux qui se partageaient sa tournée ne voulaient de la patate chaude. En regardant la lettre, elle entendit vaguement les propos de ses collègues :

Trop loin !

Trop impraticable !

Trop pas le temps !

Et si on la laissait pour plus tard ?

Si on la jetait ?

Si on regardait ce qu' il y a dedans ?

Lorsqu' elle leva la tête, deux solutions semblaient se dégager, soit on la laissait pour Maximilien la semaine prochaine, soit c' est Jean-Michel qui la prenait vu qu' il était le plus près. Au moment où celui-ci allait commencer à se plaindre, Claudine dit : " je peux la prendre sinon, j' irais la déposer avant de rentrer chez moi."

Jean-Michel sauta sur l' occasion et la remercia immédiatement, elle lui sauvait la vie ! Sans elle, il aurait eu du retard à un rendez-vous super important. En réalité Claudine ne se souciait pas de lui mais elle savait pertinemment que les choses allaient mal tourné pour Maximilien, personne n' aurait songé à prendre sa défense, bien au contraire. Alors Claudine se dévoua, pensant rendre service à Max, avec qui elle entretenait de bonne relation et avec qui elle partageait au moins deux points communs pas glorieux, d' abord lui aussi jouissait d' une mauvaise réputation, heureusement la place d' idiot du village était déjà prise, sinon il aurait pu, selon les habitants, postuler facilement. Il était trop gentil, Claudine lui disait parfois de ne pas se laisser faire, que les gens se servait de lui, mais il répondait toujours qu' il aimait bien rendre service. Ensuite, et cela avait contribuer au point numéro un, il était lui aussi malchanceux en amour, d' une façon différente de Claudine puisqu' avant de le quitter pour un autre, la seule femme qu' il avait fréquentée dans sa vie l' avait soigneusement fait cocu avec la moitié du village au vu et su de l' autre moitié, tout le monde était donc au courant sauf lui.

Max était devenu un peu plus proche d' elle lorsque son mari mourut et elle se demanda s'il n' allait pas se déclarer amoureux d' elle. En fait, elle se le demandait encore maintenant ! Ils se contentaient tout les deux d' être de bon amis, tout en jouant à un jeu de séduction lointain et timide.

C' est ainsi que Claudine passa la journée au guichet, derrière son hygiaphone, avec la lettre à ses cotés. En la regardant, elle pensait à la maison solitaire. Il n' y avait pas de patronyme sur l' adresse, à part le code postale et le nom du village, seul figurait le nom de la maison et la rue : Le repos, chemin des grands saules. Mais impossible de se tromper, tout le monde connaissait cette maison isolé baptisé " le repos". Quand Madame Delasserpette, qui habitait près de monsieur le maire, se présenta au guichet, Claudine orienta la discussion vers la maison mais Madame Delasserpette ne semblait pas au courant d' un nouvel habitant. Tant pis, à part ça, la journée se passa comme d' habitude, dans le rire et la bonne humeur, car Claudine était quelqu' un de très dynamique. On pourrait s' attendre à ce que les gens qui ont subit de douloureuses épreuves dans leur vie soit d' un naturel abattu et renfermé, or c' est bien souvent le contraire, ceux qui ont connu le malheur, le vrai malheur, ont souvent un tempérament enthousiaste et un panache communicatif. Claudine était ouverte aux autres, elle aimait la vie, elle aimait partager, elle aimait rire, et tant pis si on la jugeait. Bien sûr, au fond d' elle, c' était pas toujours la joie, mais à quoi bon se morfondre ? Finalement, dans ce monde elle était parmi les chanceuses, d' ailleurs il faisait beau aujourd’hui et sa journée de travail allait prendre fin, il était bientôt 16 heures. Sauf que depuis un moment, un curieux sentiment s' était emparé d' elle. Ce matin elle avait pris la lettre sans trop y penser, elle voyait cette mission comme une simple formalité, mais maintenant tout cela était moins certain. Il allait arriver quelque chose, elle n' allait pas juste remettre une lettre puis reprendre le cours de sa vie normalement. Bien sûr, impossible pour elle de le formuler en ces termes mais c' est en gros ce qui montait dans son corps. C' est un vague sentiment diffus, on ne s' en rend pas compte sur le moment, c' est seulement après coup qu' on s' aperçoit, quelquefois, qu' une partie de nous l' avait senti venir. C' est ce qu' on appelle une intuition. On en a tous assez souvent. En général, on ne suit pas ses intuitions, surtout lorsqu' elles sont irrationnelles, et Claudine n' avait aucune raison rationnelle de s' inquiéter, elle allait déposer une lettre comme elle l' avait déjà fait de temps en temps. Au moment de sortir de la poste, le soleil était encore haut et un sourire illuminait son visage. Lorsqu' elle rentra dans sa RENAULT 5 rouge, en déposant la lettre sur le siège passager, une césure s' opéra entre sa raison et son intuition. Elle tourna la clef de contact en se disant qu' après avoir livré la lettre elle ira faire quelques achats pour dîner, mais si elle avait interrogé son intuition, elle aurait su qu' elle se trompait.




3





Tout à coup elle se senti seule. Sa voiture avait été stationnée à l' endroit où la route cessait d' être bitumée. Sur les premiers mètres du chemin, quelques maisons encore, à gauche à droite, puis on sortait de la civilisation. Ses pieds avait marché sur des cailloux de diverses tailles et de plein de couleurs différentes, et même avec des baskets, ce n' était pas facile. Pour ne rien arranger, c' était en descente. Une fois arrivé en bas de la pente, des barbelés longeaient les cotés du chemin pour le séparer d' un pré vallonné, au loin on distinguait une vielle grange. Puis une rivière, quasiment à sec , barrait la route, il fallait emprunter un petit pont rudimentaire mais solide. Un petit arrêt sur le pont s' était imposé, dans le silence on entendait seulement le faible clapotis de l' eau. Et c' est là, en reprenant la route, que le sentiment de solitude l' avait enveloppé. Elle se demanda si elle avait bien fait de se jeter dans cette aventure. Claudine songea même à faire demi-tour mais finalement renonça. Elle n' était plus très loin à présent. Depuis la rivière, un sentier remontait, qui allait en s' élargissant, puis le sentier pénétrait dans la foret. Elle marchait sans se presser, d' un pas de celle qui se ballade tranquillement. Après avoir parcouru environ 500 mètres entourée de bois, elle arriva enfin à l' intersection. Sur sa droite, un autre chemin partait, suffisamment large pour qu' une voiture y passe. On voyait au loin qu' il formait un angle droit. En s' élançant sur la dernière ligne droite, son sentiment de solitude l' abandonna et Claudine retrouva du baume au cœur, elle se mit à sourire de ses états d' âme passés et éprouva de la joie d' être arrivée enfin à destination, ça faisait un bail qu' elle n' était pas venu ici, la dernière fois elle n' avait même pas 18 ans, au cours d' une excursion avec des copines. Elles ne savaient pas quoi faire un jour d' été et l' une d' elles avaient proposé d' aller voir cette veille maison dans la foret. Toutes avaient ouvert grand les yeux en acquiesçant, emballées par l' idée car toutes étaient déjà passé non loin de la maison étant enfant, mais aucune n' avait eu le droit d' approcher, ça sera la première fois qu' elles iraient entre amies et elles allaient pouvoir faire tout ce qu' elle voulaient, ça promettait d' être la grande aventure ! Le groupe d' amies ne fut pas déçu, elles y retournèrent souvent durant cette été là, leur occupation favorite consistait simplement à s' asseoir dans un endroit et à parler. Elle discutait de leur vie ou se racontait des histoires. Le lieu était propice au confidence, elles se sentaient en retrait du monde, en retrait de leur vie, ici personne pour les déranger. Quelque fois un bruit se faisait entendre, une branche qui craque ou que sais-je, alors d' un coup elles s' arrêtaient de parler et se regardaient, à moitié effrayées à moitié amusées. Selon que l' amusement ou la frayeur prenait le dessus, elles pouvaient soit reprendre leurs discussions, soit aller se cacher pour observer. L' endroit faisait un peu peur car il y avait des bouteilles d' alcool gisant ça et là, mais ça contribuait à l' ambiance. Un super été ! Claudine se souvint qu' elle et ses copines s' étaient un jour posé la questions de savoir qui avait bien pu habiter ici et pourquoi la maison avait été laisser ainsi, à l' abandon. Elle en était à sourire en imaginant quel genre de personne était assez excentrique pour réhabiliter la maison lorsqu' elle approcha du dernier virage. En regardant sur la gauche, on commençait au loin à distinguer vaguement la grande bâtisse, à travers l' épais feuillage des arbres. Après le virage, Claudine fut stoppée net par ce qu' elle avait devant les yeux. Le large chemin continuait sur une centaine de mètres puis débouchait sur une clairière circulaire au milieu de laquelle trônait la maison, qui ressemblait toujours à un manoir, mais avait perdu son coté hanté et lugubre, elle était maintenant dans un état impeccable, on aurait cru qu' elle venait d' être construite ! Bon sang de bonsoir, se dit la belle Claudine, médusée, il y a eu d' énormes travaux ici ! Elle reprit la route sans quitter la maison des yeux et tout en s' approchant faisait l' inventaire de ce qui avait été refait en superposant mentalement la maison de son souvenir et celle du présent. C' était incroyable ! Elle arriva au pied de la bâtisse. Un large escalier en pierre de 7 marches menait à la porte d' entrée. Elle se revit assise là, avec ses copines, sur cet escalier alors envahi par la végétation avec ses marches toutes cassées. Mais aujourd’hui l' escalier était immaculé, aucune trace de réparation apparente, comme neuf, du beau boulot. En montant les escaliers, ses pieds appuyèrent délicatement sur les marches comme pour se rassurer d' être sur du vrai. On entendait le vent souffler dans les arbres. La porte était immense et entrouverte. Pas de sonnette. Elle frappa. Attendit. Rien. Elle frappa encore et poussa un peu la porte, elle était lourde ! Il y a quelqu' un ? cria-t-elle doucement. La curiosité était trop forte, elle entra un peu. La pièce d' entrée était magnifique. Devant, un escalier en marbre montait en tournant à gauche et à droite, en bas de large ouverture sans porte donnait sur des pièces, il y avait des décors qui rappelaient tous le moyen-age, au mur des écus, des épées, des tableaux, la pièce comptait au moins trois armures dont une juste à coté d' elle, qui tenait une armes à pointes dont elle ignorait le nom mais qui l' impressionnait beaucoup. Et bien, songea-t-elle, un riche collectionneur, voilà le genre d' excentrique à venir vivre ici. Mais tout à coup son regard tomba sur la pièce située à sa droite, l' ouverture était à peu près large comme deux portes. Claudine, fascinée, crut rêver. Non c' est pas possible ! Mais si ! La pièce était lumineuse, impossible de se tromper. Il y avait là, dans cette pièce à quelque pas d' elle, il y avait des...comment dire...elle en avait vu dans les livres d' histoires, du bois, des chaînes en fer qui pendent, on distinguait au moins deux ou trois instruments. Et il y avait un truc sur le sol, juste une pièce de bois avec un trou au milieu et deux autres trous plus petits de part et d' autre, un carcan ! Le mot lui revint tout seul, c' était un carcan ! Et la pièce était remplie d' instruments de torture médiévaux.

- Ah bonjour, vous voilà, je vous attendais.

Claudine se retourna, surprise dans ses rêveries.

- Vous m' attendiez ?

- Bien sûr, je sais qui vous êtes.

Claudine fut déstabilisée.

- Comment ça...qui je suis ?




4





- Et bien...vous êtes la factrice, dit l' homme en désignant du doigt la lettre que Claudine tenait dans la main.

Elle regarda la lettre et revint sur terre.

- Et oui, bien sûr ! Dit-elle en rigolant.

Pourquoi riait-elle ? Sans doute de ce qu' elle avait imaginé il y a une poignée de seconde, une pensée à présent oubliée. Comment cet homme aurait-il pu savoir qui elle était ? Dans le sens qui elle était au fond d' elle. Il ne lit pas dans les pensées. Elle est la factrice c' est tout.

Le gentleman qui se trouvait devant elle l' accompagna dans son rire, certainement par politesse. Ou parce qu' il trouvait son rire amusant.

- Et oui ! Je suis Claudine dit-elle en lui présentant sa main à serrer, bienvenue au village.

Il saisi sa main et s' inclina pour lui faire le baise-main !

Quel original ! pensa-t elle

- Je m' appelle Nathan

- Ha ? Vous avez un accent plutôt russe non ?

- J' ai beaucoup voyagé, depuis toujours, sourit-il.

- Oui je vois ça, répondit Claudine avec un mouvement circulaire de la tête pour désigner tout ce qui se trouvait autour d' elle. Et vous ramenez des souvenirs avec vous !

- Les plus beaux souvenirs de voyage ne peuvent pas se toucher du doigt, fit Nathan un brin sentencieux. Puis après une brève pause il déclara, solennel, en se penchant légèrement en avant, tout en mettant son index sur sa tempe : " ils sont là."

- C' est vrai, admit Claudine, même si elle n' avait quasiment jamais voyagé de sa vie.

- En fait, repris Nathan, tous ces bibelots que vous voyez autour de vous font partie d' une collection que je réunis sur le moyen-âge européen. J' ai une petite passion pour cette période historique.

Claudine songea à la séduisante table de torture. Il ose appeler ça un bibelot ! s' amusa-t-elle.

- Vous avez tout de même de belles pièces, certaines sont drôlement impressionnantes ! s' exclama-t-elle en regardant l' armure juste à coté.

- Oui, et encore cela n' est rien. j' ai des choses extrêmement plus drôles et plus impressionnantes.

Il avait dit ça sur un ton énigmatique, mais il y avait aussi dans son intonation comme une invitation, on aurait pu s' attendre à un clin d' œil à la fin de sa phrase.

- Je veux bien vous croire !

- Mais je peux vous montrer, si vous avez quelques secondes ?

Claudine oscilla entre le refus ( sans trop savoir pourquoi ) et la joie d' accepter. Elle marmonnait quelque chose quand il l' interrompit.

- Ça ne prendra qu' une minute je vous promets.

- D' accord.

- Suivez-moi, vous ne serez pas déçue.

Pourtant, déçue, elle le fut presque lorsque son hôte partit dans la direction opposée à la salle des tortures !

Ils sortirent du vestibule, traversèrent un salon orné de nombreux tableaux, et arrivèrent devant une porte que Nathan ouvrit en invitant poliment Claudine à entrer. En pénétrant dans la pièce, la visiteuse fut effectivement stupéfaite. Il n' y avait qu' une seul chose à l' intérieur, dont on se demandait ce que cela faisait ici. Au centre de la pièce se trouvait une sorte d' imposant bloc de pierre rectangulaire dans lequel était taillé cinq larges marches qui menaient à un siège.

- C' est un trône, dit Nathan, il est en marbre.

- Et qui a eu l' honneur de poser ses royales fesses sur ce trône, plaisanta Claudine, qui commençait à se décontracter.

- On attribue sa construction à Charlemagne, puis il a vu le couronnement d' une trentaine de rois et empereurs du saint empire romain germanique.

- Il fait vraiment austère, je n' imaginais pas ça comme ça.

En effet le trône n' avait ni dorure ni gravure ni rien.

- C' est une reproduction bien sûr, l' originale se trouve à Aix en Provence, dans la chapelle du palais que Charlemagne fit construire en l' an 800. La cathédrale dont fait maintenant partie la chapelle vient d' ailleurs d' être inscrite au patrimoine mondial de l' UNESCO. Mais je vous ennuie, prenez plutôt place sur votre trône, chère Claudine.

La reine nouvellement promue ne se fit pas prier deux fois, elle rigola puis avança vers l' escalier. Les marches étaient longues d' au moins un mètre et haute de 30 cm. Elle monta puis s' assis. Ce n' était pas très confortable, mais on prenait de la hauteur.

Le trône était situé à plus d' un mètre cinquante du sol, de là-haut elle dominait son interlocuteur qui lui arrivait au niveau des pieds.

- Alors, vous êtes à l' aise dans votre rôle d' impératrice ?

Elle sourit, détendit son buste en arrière et allongea les jambes en croisant les pieds.

- Je m' y sens merveilleusement bien. J' en voudrais un pour chez moi.

- Vous avez raison, il en faudrait un dans tous les foyers, continua-t-il à plaisanter.

- C' est d' ailleurs la place que devrait occuper toutes les femmes, non ?

Claudine aimait provoquer les hommes en jouant la féministe. Elle était curieuse de voir comment allait réagir ce gentleman.

- Voyez-vous ça ! s' exclama-t-il en souriant, les femmes au pouvoir et les hommes à leur pieds c' est ça ?

- C' est ça !

Et ils rirent tous les deux.

- Et bien figurez-vous, très chère, que je suis à peu près d' accord avec vous ! dit-il en insistant sur le "à peu près"

- J' en suis ravie !

Après avoir ri à nouveau, ils eurent une conversation un peu sérieuse sur le droit des femmes, durant laquelle Claudine apprit à Nathan que le concours pour devenir facteur est mixte depuis 1975. Ils échangèrent leur point de vue en toute simplicité, sans arrière-pensée, comme s' ils se connaissaient depuis des années. Nathan avait des mots séduisants, il parlait de confiance, d' union, de réciprocité, de liberté. Ainsi la discussion glissait doucement vers l' Amour. Claudine le sentait bien et jugea qu' il était temps de s' en aller. Elle prétexta le repas de ses chats pour prendre congé. En retraversant le salon aux tableaux, lui vint une envie folle de demander à Nathan s' il était marié mais elle n' osa pas franchir le pas. Étonnant, elle qui pourtant n' avait pas la langue dans sa poche d' habitude !

- Vous êtes mariée Claudine ?

- Non, je suis veuve. Mon mari est mort il y a 7 ans. répondit-elle, un peu troublée par la coïncidence.

- Je suis navré, je ne m' attendais pas à ça, vu votre jeune age.

Elle pris la perche tendu pour décontracter l' atmosphère.

- Mon jeune âge ? Vous essayez de me flatter ?

- Pas du tout, à coté de moi vous êtes jeune, croyez-moi.

- Mouai...mouai...dit-elle en faisant une moue taquine.

Elle lui donnait à peine quelques années de plus qu' elle. Mais ils étaient maintenant arrivés devant la porte d' entrée et elle ne put s' empêcher de jeter un coup d' œil sur le coté. La curieuse vit clairement une belle table en bois avec des bracelets de fer au quatre coin, sûrement pour les poignets et les chevilles songea-t-elle.

Il dut s' en percevoir car il lança tout d' un coup : " Quel dommage ! je ne vous ai pas fait visiter ma salle des tortures ! Une prochaine fois peut-être..."

Son cœur de fille se mit à battre plus fort, elle mourait de répondre "oui avec plaisir" mais se retint. Elle imaginait que cette simple réponse la trahirait en quelque sorte.

- Heu oui, chouette. Bredouilla-t-elle en souriant avec un air qu' elle voulu mi-sincère, mi-ironique afin qu' il ne puisse rien repérer de ses sentiments.

Elle lui tendit sa main qu' il serra délicatement en s' inclinant légèrement.

- Au revoir Nathan, et merci pour le voyage.

- Une rencontre est le plus beau des voyages, j' ai été ravi de vous rencontrer Claudine, à bientôt j' espère.

Claudine s' éloigna avec l' impression de sortir d' un rêve.




5





Revoir Nathan...revoir Nathan...Avez-vous déjà vécu cette situation d' attendre qu' un événement arrive ? Un quelque chose dont on est même pas certain qu' il puisse arriver ? Un événement qu' on garde secret et dont on ne veut parler à personne ? On discute avec les gens, on vit sa vie normalement, mais en fin de compte rien de tout cela n' est réel, au fond de nous une seule pensée nous ronge.

On regarde sa vie d' une autre façon aussi. Sa rencontre avec Nathan avait eu lieu mercredi. Depuis elle ne cessait d' y penser. Mercredi soir, dans son lit, elle s' était masturbée. Jeudi, elle arriva au travail en se disant que peut-être une lettre lui serait destinée. Mais rien ! Il n' était même pas 8 heure et plus rien à attendre de la journée. Le reste de la journée parut vide, sa vie parut vide. Vendredi matin finit par arriver. Allez ! Il faut qu' il y ait quelque chose. Elle aidait au tri avec un zèle excessif, guettant la moindre lettre, la moindre alerte d' un collègue, attendant qu' un homme se plaigne, comme avant-hier, d' une lettre trop loin. Mais rien, quelle déception. Il va falloir attendre lundi et encore, lundi Maximilien revient de vacances, ça sera plus difficile.

Le week-end fut un enfer. Sa solitude lui apparut d' une façon nouvelle, démesurée. Elle s' activa à diverses choses, mais rien ne pouvait être entrepris sans ressentir la terrible impression d' inutilité qui ramène l' être humain à sa condition éphémère. Un vie trop brève, des desseins illusoires. En réalité il n' y avait qu' une seule chose qu' elle devait faire. Une seule.

Le dimanche en fin d' après-midi, le ciel, qui était uniformément gris clair depuis le matin, commençait à changer. Demain il fera beau, on vivait la transition, des bouts de bleu apparaissaient, et par moment des rayons de soleil transperçaient au travers d' un nuage pour ramener chez les vivants, dans une lumière quasi-divine, une terre à l' agonie

C' est à ce moment que Claudine se résolut d' aller chez Nathan. Et pourquoi pas après tout ? Une simple visite de courtoisie. Elle n' alla pas plus loin que le pont. Elle fit demi-tour, rentra chez elle pour ouvrir une bouteille d' alcool fort, ça faisait longtemps.

Elle arriva au boulot lundi avec une forme du tonnerre. Toutes ces chimères n' étaient au fond qu' un bref rêve à oublier. La vie réelle allait revenir. Max était déjà là, elle alla lui faire la bise. Il sourit en la voyant et elle lui rendit son sourire. Il échangèrent des banalités mais y prirent du plaisir tous les deux. Les vacances s' étaient bien passé, la rentrée n' était pas facile, il avait eu beau temps. En se séparant, car il fallait bien aller bosser, il promit de lui raconter en détail plus tard, ce qui pouvait être vu comme une formule de politesse davantage que comme une réelle promesse. Il se retourna soudain :

- Au fait, rien de spécial pendant mon absence ?

- Non ! Non, non, rien.

Claudine triait. Le lundi c' était plutôt silencieux dans la grande pièce, elle l' avait déjà remarqué. Beaucoup de lettres et peu de motivation après le week-end. Et tout à coup, elle la vit ! La lettre était là sous ses yeux. Elle posa la main dessus et la ramena vers elle. C' était bien l' adresse aucun doute. Elle la plaça en bas de la pile de lettres qu' elle tenait et commençait à distribuer ces dernières dans les cases adéquates. Elle ne levait pas la tête, ses gestes étaient plus lent que d' habitude, elle réfléchissait, le cœur battait un peu plus vite. La cacher dans sa poche ? Non, et si quelqu' un la voyait ? Non il ne fallait pas faire ça. Elle trouva la solution. Il lui restait quelques lettres dans sa main. Elle se dirigea vers la porte qui s' ouvre sur la pièce ou se trouve son pupitre derrière l' hygiaphone. Elle prit l' air le plus naturel du monde. Les autres étaient affairés à leur besogne. Et quand bien même quelqu' un la verrait passer, après tout que verrait-il ? Claudine en train de marcher avec des lettres en main ? Et alors ? Quoi de plus normal en ce lieu, en ce moment ? Elle ouvrit la porte, et plaça la lettre dans un tiroir choisi précisément pour l' occasion et ressortit. Elle revint vers les cases avec autant de détachement qu' elle le put, tout en regardant autour d' elle, avec l' assurance de celle qui n' a rien à cacher. Elle n' avait pas d' excuse tout prête. En imaginant, mais c' était au final totalement improbable, que quelqu' un l' avait arrêtée d' un coup en lui demandant ce qu' elle était allé faire là-bas, elle aurait dit qu' elle avait un truc perso à vérifier, c' est tout. Mais personne ne semblait se soucier d' elle. Et quand Claudine reprit le tri des lettres dans les casiers, c' est avec le sentiment d' une espionne qui vient de réussir sa mission.




6





Elle était encore dans le rôle de l' espionne quand elle passa le pont, marcha dans le chemin entouré de foret et s' arrêta au niveau du dernier virage avant le sentier qui mène à la maison. Plus tôt, après le travail, elle était rentrée chez elle se changer. Nathan était si élégant. La dernière fois elle avait eu l' air d' un sac à patates à coté. Elle avait mis une jupe qui tombait juste au dessus du genoux et une petite chemisette ample aux manches très courtes. Ainsi vêtue, pieds nus, devant le miroir de sa chambre, elle s' était tourné un peu de coté pour regarder les fesses que ça lui faisait. Elle avait réglé le problème des chaussures en mettant dans un sac plastique des escarpins à talon haut et carré ( les talons aiguilles ne sont plus à la mode, et déconseillés par les médecins ). Les basket étaient préférables pour passer sur les cailloux et les chemins.

Mais maintenant, elle sortit les escarpins du sac. Elle retira ses baskets, et un à un, après avoir retiré la chaussette et s' être un peu épousseter la plante, posa ses pieds dans ses chaussures. Elle mit toutes ses affaires dans le sac ( après en avoir sorti la lettre ) et cacha celui-ci dans la végétation.

Elle prit le virage et se dirigea vers la maison, la porte semblait fermée cette fois. On verra bien se dit-elle, consciente que ce qu' elle faisait était un peu bizarre et relevait plutôt du rêve, voir du fantasme... et pourtant elle était volontaire, bien décidée. Elle avait toujours été une femme forte, et encore maintenant elle allait prouver qu' elle savait dominer sa vie. Elle monta l' escalier en faisant claquer ses talons sur les marches et toqua sur la porte.

Des pas, un silence, un verrous. Elle regardait la porte s' ouvrir et enfin ils se retrouvèrent face à face. Claudine sourit de manière charmante. Nathan l' accueillit avec enthousiasme.

- Claudine ! Quelle formidable surprise ! Entrez donc, j' allais préparer du thé !

- Ah oui, oui merci.

Elle ne s' attendait pas à ça, qu' il se souvienne de son prénom était déjà heureux !

- Je vous ai apporté une lettre, Nathan.

- Merci beaucoup, je vais la poser sur mon bureau, juste là, accompagnez-moi.

Il entrèrent dans la grande salle qui contenait les instruments de torture. Près de la fenêtre se trouvait un bureau du 19eme siècle.

- Un bureau parmi des meubles de torture ! Votre travail est un supplice, Nathan ? S' amusa Claudine, en réunissant beaucoup d' audace pour prononcer ces mots.

- C' est une pièce très lumineuse, voilà pourquoi je l' ai mis ici, mais c' est vrai qu' un bureau est quasiment un instrument de torture moderne, admit-il en rigolant, malgré tout je préfère l' esthétique de ces chevalets, et je dois avouer que travailler à mon bureau en les ayant sous les yeux me procure une certaine inclinaison à être studieux, si toutefois je ne laisse pas mon esprit vagabonder en les regardant.

- Oui, je ne doute pas qu' il peuvent être source de distraction, avec un peu d 'imagination.

- Avez-vous de l' imagination Claudine ?

- Beaucoup, un peu trop même.

- Non voyons ! La principale caractéristique de l' imagination est de ne pas avoir de limite, sinon celle qu' elle se fixe elle-même, par ignorance ou par crainte.

- Je n' ai peur de rien, lança la jeune femme, et ce que j' ignore, je suis prête à l' apprendre.

- Vous êtes ouverte d' esprit, une vrai ouverture faite de saine curiosité et d' intérêt sincère, c' est une qualité qui va se perdre de plus en plus. A l' avenir ce qu' on appellera ouverture d' esprit ne sera que du dédain poli, une tolérance hypocrite et moqueuse.

- Oui, moi j' ai parfois l' impression de ne plus avoir ma place dans le monde se confia Claudine, et vous ?

Nathan sourit mystérieusement

- Je n' ai jamais eu ma place dans ce monde. Oh mais il faut que j' aille préparer le thé, où il sera trop tard, puis-je vous laisser une seconde ? Faites comme chez vous je reviens vite.

Laissées seules dans cette pièce rempli de chevalet de torture, les pensées de Claudine se mirent à s' exciter malgré le soin qu' elle prenait à les contenir, mais c' était trop puissant, elle fantasmait devant les carcans, sera-t-elle capable de se dominer ? Elle carressa les bois, les fers, s' imaginant captive de l' un deux, son ventre commençait à brûler. Un chevalet l' attira particulièrement, c' était un banc en bois capitonné, à une des extrémités une poutre verticale servait, une fois que le prisonnier était assis sur le banc, à y attacher les poignets au dessus de la tête, à l' autre extrémité une planche percée de deux trous permettait d' enfermer les pieds.

- Il vous plaît ?

Elle sursauta avant de répondre qu' il avait l' air confortable à un Nathan qui se trouvait dans la pièce sans qu' elle l' eut entendu venir.

- Voulez-vous prendre place pour l' essayer ?

- Je passe rapidement du statut de reine à celui de prisonnière torturée répondit-elle en se rappelant le trône de Charlemagne.

- Rassurez-vous, je n' ai aucune raison de vous mettre au supplice...pour l' instant...dit malicieusement Nathan. Mais le seul fait de se retrouver ainsi capturée peut déjà être en soit une certaine forme d' humiliation, je peux comprendre que vous ne vouliez...

- Non, non, le coupa Claudine, un peu trop promptement se dit-elle, je veux bien essayer.

Elle s' assit sur le banc, Nathan releva la partie supérieur du carcan. Sa jupe compliquait la tache mais elle réussit à pivoter d' un quart de tour sur ses fesses afin de tendre ses jambes sur le banc et de placer ses pieds encore chaussés en position. Le moment ou le haut du carcan se referma sur ses chevilles pour la maintenir prisonnière fut un pur moment d' extase. Nathan refermait le loquet sur le coté quand soudain il se rappela que le thé devait avoir fini d' infuser.

- Mon dieu ! Le thé doit être prêt ! Cela ne vous ennuie pas ? Je reviens tout de suite ?

- Non, non, allez-y, je vous attend là, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas pouvoir m' échapper, sourit-elle

- Je suis confus, je reviens tout de suite.

Elle se retrouva à nouveau seule. Elle essaya de bouger ses pieds, c' était impossible, elle ne pouvait faire aucun mouvement, elle ne pouvait soustraire ses pieds, si quelqu' un décidait de leur faire subir quelque chose, elle ne pouvait pas l' empêcher. Elle se détendit le dos contre la poutre capitonnée, c' était finalement vraiment confortable, étrangement. Elle s' imagina les mains attachées au dessus de la tête. Dans cette position elle serait totalement vulnérable.

Nathan revint avec une théière et deux verres sur un plateau en argent qu' il posa sur la table voisine de celle où Claudine était maintenue prisonnière. Il versa le thé à la manière orientale, avec beaucoup d' adresse. Il tendit un verre à Claudine et prit une chaise un peu plus loin qu' il posa de manière à être en face d' elle, à peu près au niveau de ses pieds. En tout cas, de là où il était il pouvait les voir, se dit-elle, s' il voulait il n' aurait qu' à tendre le bras pour les toucher et...

- Oh mais peut-être voulez-vous que nous allions le boire autre part ?

- Non pas du tout, c' est d' ailleurs un peu trop confortable pour un banc de torture...

- En effet, vous avez raison. Je suis gêné mais je dois vous dire pour être honnête qu' il n' est pas entièrement d' époque, il a été amélioré, disons plutôt restauré.

- Ha oui, mais dans quel but ?

- Et bien... personne ne voudrait boire un thé dessus sinon.

C' était drôle mais hors de question qu' il s' en sorte si bien, pensa Claudine.

- Ha oui, et... beaucoup de personne ont bu un thé dessus ?

- Vous êtes la première, promit Nathan avec amusement et sincérité.

Ils burent une gorgée tous les deux, comme pour entériner ce qui venait d' être dit dans la confiance. Claudine relança :

- A l' origine il ne devait pas servir à ça, comment croyez-vous que les gens étaient torturé dans cette position ?

- Difficile à dire, je ne sais pas trop, ça devait dépendre du tortionnaire. Mais... dites-moi...et vous ? Quelle technique odieuse utiliseriez-vous pour faire avouer votre captif ?

- Moi ? J' utiliserais la plus sadique des tortures, la pire que je connaisse, tellement ignoble qu' il ne me faudrait pas longtemps avant de tout faire avouer au prisonnier.

- Vous m' intriguez ! Une torture qui fait demander grâce même au plus courageux ?

- Oui. C' est le supplice le plus doux auquel on peut soumettre quelqu' un, pourtant, et peut-être aussi pour cette raison, c' est le plus cruel. Tendre et sensuel en même temps que diabolique et pervers. Une caresse insupportable dont on ne peut se soustraire. La sensation pour le supplicié de se sentir à la merci total du sadisme de son tortionnaire. Au bout de quelques minutes de ce traitement il ne reste rien d' autre à faire que de supplier la pitié et d' implorer pour que cesse ce délicieux tourment.

- Dites-moi.

- Et bien voilà, ma torture préférée, celle que j' emploierais, c' est les chatouilles.




7





Elle avait remis ses baskets, maintenant elle traversait le pont pour rentrer chez elle, complètement déboussolée, ce qui venait de lui arriver la mettait dans un état second. Son esprit tournait à mille pour cent et dans une seul direction, il n' y avait aucun autre sujet de réflexion que ce qui venait de se passer avec Nathan. Elle chemina perdu dans une brume insensée et jouissive. Elle se sentais si bien, un bonheur simple et infini, une joie ineffable lui soulevait le corps. Un commencement faisait jour, elle qui vivait depuis si longtemps dans les fins, toute sa vie n' était qu' une fin traînante, aujourd’hui elle connaissait un début. Oui le bonheur c' était ça, le bonheur c' est de vivre un début.

Sitôt rentrer, elle fila dans sa chambre, ferma les volets pour faire pénombre, se déshabilla entièrement et s' allongea sur son lit. Elle repensa au moment où elle se trouvait les pieds dans le carcan. Nathan avait trouvé sa description des chatouilles fascinante et envoûtante, il s' y retrouvait avait-il dit avec dans les yeux tant de joie qu' il ne pouvait mentir. Et puis il lui avait posé LA question, mon dieu cette question si terrible, et dans la position qui était la sienne à ce moment, la sensation fut décuplée. Encore maintenant, lorsqu' elle pensa à cette question, elle se cambra sous la caresses de sa main.



- Et vous Claudine, vous êtes chatouilleuse ?

- Et bien... non...enfin pas tellement....non je suis pas très pas chatouilleuse.

- J' ai l' impression que vous me mentez...

- Non, non pas du tout ! Je ne suis pas trop chatouille je pense, enfin ça dépend des endroits pour être honnête.

- Et bien justement je pense que vous n' êtes pas complètement honnête, vous savez qu' il y a un moyen très simple de vérifier si vous mentez ou non ?

- Oh mais... je ne mens pas ! Où alors c' est que je ne suis pas au courant...

- Accepteriez-vous que je vous retire vos chaussures ?

- Vous voulez dire....Afin de me chatouiller ?

- Oui.

Évidemment qu' elle finit par accepter après quelques détours. Il se leva pour lui prendre son verre, puis il alla se rasseoir juste en face de ses pieds. Il pris une chaussure dans chaque main et les retira délicatement, les deux en même temps. Tout à coup pieds nus devant lui, elle agita un peu les orteils. Il commença tout doucement, par de légères caresses, elle se cambra en frissonnant. A votre façon de plisser la plante des pieds je crois que vous êtes très sensible, dit-il tout en continuant d' agiter le bout des doigts. Claudine avait de plus en plus de mal à cacher son émotion devant la torture, sa respiration commençait à trahir un rire. Lorsqu' il se mit à la grattouiller avec les ongles sous les pieds, elle céda et se mit à rire, elle n' en pouvait supporter davantage, il vit cela et intensifia les chatouilles. Elle se mit à bouger les pieds dans tout les sens pour échapper aux doigts inquisiteurs mais Nathan saisi son pied droit et, tout en le maintenant prisonnier, lui harcelait la zone juste sous les doigt de pieds avec l' index. Elle perdit tout contrôle sur son rire. Elle se pencha en avant les bras tendus comme pour aller se protéger les pieds mais ses mains n' arrivèrent qu' à toucher le haut du carcan. Il lui attrapa les pieds en posant ses main dessous, le bas de sa paume de main à peu prés contre son talon, et grâce à son index et son majeur, il lui taquina les pieds en la regardant. Elle écarquilla les yeux devant un tel traitement tout en rigolant puis elle le supplia d' arrêter. Nathan stoppa le mouvement, tout en conservant dans ses mains la propriété des pieds de Claudine qui reprit un peu de son sang froid. Alors, êtes-vous chatouilleuse ? Questionna-t-il. Par dessus le carcan, yeux dans les yeux elle lui répondit qu' elle croyait que oui, et Nathan lui rétorqua qu' il n' en était pas tout à fait sûr. Un petit silence se fit, Claudine comprit ce que cela signifiait. Non, pitié, miaula-t-elle pour la forme avant de sentir les chatouilles reprendre sous ses pieds. Elle se rejeta en arrière, vaincue, elle était à sa merci et lui abandonna ses pieds.

Elle savoura les chatouilles pendant un long moment. Il alternait les petites taquineries, les chatouilles intenses, les provocations, sur un pied, ou l' autre, ou les deux. Au bout d' un moment, elle le supplia en hurlant. Il décida d' arrêter le jeu, il se leva, très satisfait.

- Je pense que vous avez eu votre compte chère Claudine ?

- Nathan...vous me le paierez !

- Voyez-vous ça, sourit-il en passant le doigt tout le long de son pied pour la faire frémir.

Il souleva le carcan, elle se retira et s' assis sur le banc pour reprendre son souffle et ses force.

Nathan supposa qu' elle devait avoir soif et partit lui chercher un grand verre d' eau. Seule, elle peinait à reprendre ses esprits, il fallait qu' elle parte, même si l' envie de rester était immense, elle connaissait à peine cet homme et dans l' état où elle se trouvait elle pourrait faire une maladresse. Oui, c' était plus sage, elle devait prendre congé, avec classe, avec provocation, en séductrice.

Après lui avoir donner le verre d' eau, qu' elle but d' une traite, Nathan ramassa les chaussures.

- Tenez, je vous laisse remettre vos chaussures.

- Oui, merci, après ce que vous m' avez fait subir, je devrais vous obliger à me les mettre vous-même au pieds lança-t-elle en prenant ses escarpins.

- Oh j' espère que vous ne m' en voulez pas ?

- Pas du tout mon cher, et vous savez quoi ?

Elle se rechaussa, se leva pour lui faire face et dit :

- J' ai adoré ça.

- Et bien, moi aussi, si je peux me permettre.

- Vous me raccompagner ?

- Bien sûr.

Sur le perron, ils se firent la bise. Il promirent de se revoir, elle pouvait venir quand elle voulait, elle était la bienvenue.



Claudine haletait dans son lit, les dernières paroles échangées lui papillonnaient dans le ventre. Elle lui avait décrété que la prochaine fois, ils se tutoieront. A la réplique de Nathan, elle ne put répondre que par un grand sourire, il lui sourit aussi, puis elle partit sans se retourner. Il avait dit : la prochaine fois, je t' attacherais les bras.




8





- Je t' écoute Max, que se passe-t-il ?

- Oh rien je voulais juste te voir, savoir comment tu allais ?

- Tout va merveilleusement bien ! dit Claudine

Ses pensées en disant ces mots allèrent vers Nathan, cela faisait maintenant trois semaines qu' elle allait régulièrement lui rendre visite. Elle évoluait dans un autre monde, un monde féerique et léger.

- Tant mieux, ça fait un petit moment qu' on ne s' est pas parlé...en fait tu ne parles plus vraiment à beaucoup de monde, où alors de manière un peu décousue, essaya-t-il de faire passer avec une fausse décontraction humoristique.

- Je suis pas mal occupée en ce moment.

- Oui, tu as l' air d' avoir l' esprit ailleurs.

Claudine hésitait à lui parler de Nathan, elle avait un peu peur qu' il soit jaloux, où qu' il le prenne mal, parce qu' elle allait être heureuse et lui restait sur le banc de touche, mais c' est sa faute après tout, il n' a jamais été très entreprenant. Elle l' aimait beaucoup, c' était quelqu' un de chouette, qui l' avait toujours soutenue. Évidemment il ne faisait pas le poids face à Nathan, qui en un temps très court était devenu une obsession. D' ailleurs une inquiétude naissait depuis quelques jours, elle se demandait si ce n' était pas trop beau pour être vrai, il était cultivé, beau, riche, et elle n' était qu' une employée des postes. C' est aussi pour cette raison qu' elle n' avait rien dit à Max. Lorsqu' elle allait chez Nathan, ils jouaient à des jeux inavouables, ou bien ils bavardaient longuement. S' il n' est pas marié, disait-il, c' est à cause de ses voyages incessants, aujourd’hui il souhaite enfin poser ses bagages. Certes, mais ça ne voulait pas dire grand chose. Ils assouvissaient ensemble leur fantasmes, et mon dieu c' était grandiose, par ailleurs ils s' entendaient très bien, mais avait-il l' intention d' aller plus loin ? Et puis elle préférait garder ça secret, pour vivre heureux vivons caché, elle n' en avait rien à faire des autres. Malgré tout, elle avait envie de partager son bonheur et Max était un ami, son seul vrai ami en fait, il serait peu être temps de lui dire, ou du moins d' essayer, ça fera du bien, elle n' en avait parlé à personne sauf à son défunt mari, il y a trois jours, au cimetière.

- En fait, il se trouve que j' ai un homme dans ma vie. Voilà.

Elle scruta Maximilien qui, accusant le coup, incrédule et sonné, ne put que répéter bêtement.

- Tu as un homme dans ta vie ?

- Oui, et je crois que je suis amoureuse.

- Et je le connais ? Demanda max qui semblait ne pas revenir de sa stupeur.

- Non, mais je te le présenterais si tu veux.

- Oui..oui pourquoi pas. Claudine, tu sais, les gens disent que tu as changé récemment, tout le monde te trouve un peu bizarre.

- Et bien ce que disent les gens ne m' intéresse pas.

- Je peux te poser une question ? Qu' est ce que tu vas faire si souvent dans la foret ces derniers temps ?

- Quoi ? Attend ! Tu m' espionnes ?

- Non pas du tout, mais tu sais comment c' est, les gens te voient, ils parlent entre eux, il y a des ragots...

- Bin voyons ! Et que disent ces ragots ?

- Cela n' a pas d' importance, ne t' énerve pas, écoute... je voulais juste te dire que si tu avais des soucis, et que tu voulais en parler...

- Je n' ai aucun problème ça va très bien, rassure-toi. Bon il faut que j' y aille. On se voit demain ?

- Comme tu voudras...dit-il avec déception, à demain au boulot alors.

Elle le quitta en colère, il ne valait pas mieux que les autres, toutefois cette discutions l' avait embarrassé. C' est toujours elle qui allait voir Nathan, bien sûr il lui disait de passer, il l' invitait, et ils prenait du bon temps tout les deux, mais ils ne sortaient jamais, sauf dans sa propriété, depuis trois semaines il ne l' avait jamais invité au restaurant par exemple. Elle ne voulait pas précipiter les choses mais quand même, il pourrait s' engager un peu. Tout cela lui donnait mal au crane, elle rentra chez elle pour passer la soirée au calme et réfléchir à tout ça. Elle finit par arriver à la conclusion qu' elle tenait désormais à officialiser leur relation, c' est à dire à se montrer un peu plus devant les autres. Elle pourra même lui proposer de rencontrer Max, comme promis, et pourquoi pas quelques collègues triés sur le volet, et ça fermera le bec à tous ces imbéciles du village. Demain elle ira le voir pour lui faire part de ses états d' âme. Oui, demain elle lui ouvrira son cœur.




9





Sa journée de travaille finie, elle avait fait quelques courses avant de partir à pied en direction de la foret. Elle avait toujours mal au crane. Elle s' arrêta sur le petit pont. Le soleil était suffisamment bas pour que le ciel et la terre se teinte de tons pastels. Son regard s' attarda sur un caillou ancré au fond du lit de la rivière qui fendait le courant d' eau vive en deux. Elle marcha un moment, doucement, dans la foret, avant d' atteindre le dernier virage. Les oiseaux faisaient beaucoup de bruit. Quand la maison fut en vue, elle s' avança sur le sentier droit devant, le regard fixe. Arrivée juste devant la maison, son regard était toujours le même, fixe, perdu, éteint, vide. La demeure était une ruine. Abandonné depuis des dizaines d' années. Les volets arrachés, les vitres brisés, une partie du toit effondrée, les murs crasseux et tagués, par le grand trou où se trouvait jadis une porte on devinait un intérieur totalement délabré rempli d' amas de planches et de choses diverses, et tout semblait être gangrené par la végétation.

Claudine entendit du bruit derrière elle, c' était les pas de quelqu' un qui marchait. Elle se retourna. A quelques mètres devant elle se trouvait Maximilien.

- Tu m' as suivi ?

- Non. Je suis venu voir si tout allait bien.

- Tout va bien.

- D' accord, alors je m' en vais, dit-il en tournant les talons.

Elle le regardait s' éloigner. Elle était au milieu du chemin de terre, derrière elle se trouvait l' imposante demeure en ruine du temps passé, devant elle Maximilien s' en allait. Claudine s' imagina un instant en train de crier pour l' appeler.

- Max !

- Oui, dirait-il en se retournant

- Est-ce que ça te dirait de venir prendre un café chez moi ce soir ?

Elle ne criera pas, Max prend le virage au bout du chemin, ça y est il avait disparu. Seule à présent, elle s' assit sur une des marches défoncés de l' ancien escalier extérieur. A ses pieds se trouvait un bout de verre cassé en forme de triangle. Elle le ramassa de la main droite, elle regarda son poignet gauche, en dessous de sa peau des lignes bleuâtres formaient comme un H. Elle se lacéra d' un coup sec les veines, le sang coula, puis elle redonna trois coups, plus violent. Elle perdait beaucoup de sang, comme en outre elle ne supportait pas la vue du sang, la tête lui tourna très vite et elle perdit connaissance.




Épilogue





Ce n' est qu' au bout de deux semaines qu' on découvrit le corps en putréfaction de Claudine, des animaux de toutes tailles s' en servait pour vivre, notamment des insectes nécrophages, surtout des diptères de la famille des Calliphoridae, les œufs qu' ils avaient déposés avaient éclos, des larves en était sortis. La procédure pour enquêter sur la disparition d' une personne majeur est plus complexe que pour un mineur. Sa disparition fut signalée mais c' est un jeune gendarme zélé qui la retrouva alors qu' il n' était pas en fonction. Il eut l' idée grâce au témoignage-commérage de Mme de Delasserpette, qui disait que depuis quelque temps, de derrière sa fenêtre, elle voyait passer la pauvre petite qui se rendait dans la foret pour faire je sais pas quoi ! En plus de la façon dont elle était habillée ! Ce n' était pas des vêtements pour se balader en foret, c' était à se demander si elle ne se prostituait pas, enfin ça ne nous regarde pas hein ! Là-bas on retrouva deux lettres. Si la première était en effet à sa place ( un courrier automatique publicitaire impersonnel envoyé par un robot qui devait avoir trouver l' adresse sur un fichier listing quelconque ) en revanche la deuxième était destinée à un jeune couple du village avec deux enfants, sans aucun lien avec Claudine et l' affaire. On supposait que c' était Claudine qui l' avait amené là mais pourquoi ? Peu importe de toute façon la cause du décès ne faisait aucun doute. Claudine fut enterrée avec Georges. Il y eut beaucoup de monde à l' enterrement, mais par la suite personne ne vint jamais apporter des fleurs ou leur rendre visite. Maximilien vécu jusqu' à quatre-vingt trois ans. Le cancer l' emporta presque cinquante ans après cette histoire. Durant les derniers jours de sa vie, alors qu' il était en phase terminale à l' hôpital, il avait tout le loisir de penser à sa longue vie. C' est drôle, il s' était marié, il avait supporté la mort de sa femme il y a 5 ans, il avait connu des tas d' événements dans sa vie, son départ en retraite, des fêtes, des déménagements, il avait embrassé du regard 80 ans d' avancés technologiques et humaines, et pourtant dans son lit de mort, c' est à une histoire tellement ancienne qu' il pensait souvent. Autrefois, il y a longtemps, il avait connu une collègue qui s' était suicidée. Le jour d' avant qu' elle se donne la mort, il lui avait parlé en sortant de la poste, c' était la dernière fois qu' il l' avait vue. Est-ce qu' il aurait pu faire quelque chose ? Elle s' appelait Claudine, il l' aimait beaucoup. Max mourut un matin, au sortir d' une nuit remplie d' étoiles, vacillantes comme des chandelles.

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