Histoire : Conte des petits miracles enchevêtrés (histoire complète)

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Histoire ajoutée le 23/10/2018
Épisode ajouté le 23/10/2018
Mise-à-jour le 03/07/2021

Conte des petits miracles enchevêtrés (histoire complète)

Conte des petits miracles enchevêtrés









Ce petit récit est dédié à ceux qui le liront sans sauter de ligne.






Au désir



Ne meurs pas encore, ô divin Désir,

Qui sur toutes choses

Vas battant de l'aile et deviens plaisir

Dès que tu te poses.



Rôdeur curieux, es-tu las d'ouvrir

Les lèvres, les roses ?

N'as-tu désormais rien à découvrir

Au pays des causes ?



Couvre de baisers la face du beau,

Jusqu'au fond du vrai porte ton flambeau,

Fils de la jeunesse !



Encor des pensers, encor des amours !

Que ta grande soif s'abreuve toujours

Et toujours renaisse !



Sully Prudhomme







Un soir,



Il y avait un long couloir sombre avec des portes de part et d' autre alignées à intervalles réguliers. C' était la nuit, le calme et le silence. Toutes les portes étaient fermées. Toutes sauf une. Au fond, une porte entrouverte laissait filtrer une lumière jaune et chaude. Si quelqu' un s' était trouvé à l' autre bout du couloir, il n' aurait rien entendu. Mais à mesure qu' il se serait approché de la lumière, des voix et des rires se seraient faits entendre. Arrivé à quelques pas de la porte, il aurait clairement distinguer les rires féminins qui provenaient de l' intérieur de la salle. Ensuite il aurait pu discerner le timbre de trois femmes différentes qui s' envolaient tout à coup dans des éclats de rire qu' elles essayaient tant bien que mal de contrôler. En ouvrant la porte, le visiteur imaginaire serait entré dans la salle de garde du deuxième étage d' un hôpital de province où les trois infirmières de nuit prenaient un petit café en se racontant des anecdotes totalement hilarantes, tout du moins compte tenu de l' heure avancée de la nuit, et de l' état de fatigue morale et nerveuse dans laquelle les trois amies se trouvaient, état somme toute assez courant dans la profession. Il y avait Ursula, noire, volubile et plantureuse, directive mais d' une gentillesse extrême, cette femme au caractère bien trempé accumulait un nombre d' années d' expérience supérieur aux deux autres. Christine était blonde, les cheveux courts, aussi grande qu' Ursula mais moins imposante physiquement, très strict mais on sentait dans son caractère sec et hautain une sévérité un peu forcé, pas aussi naturelle que chez Ursula en qui le pouvoir autoritaire constituait une seconde peau alors qu' elle faisait plutôt office de carapace chez Christine. Elle avait pourtant la réputation d' être tyrannique, davantage que son amie, puisque sa physionomie ne lui permettait pas de contrebalancer l' aspect despotique de sa personnalité. En outre elle était l' infirmière en chef du service. La troisième s' appelait Méline, et c' était la plus jeune, la plus petite, et la plus effacée du trio, sans pour autant être timide. Sans être bavarde, sans élever la voix, en se tenant à l' écart des conflits, sa force de caractère ne faisait pourtant aucun doute.

Les trois infirmières étaient vêtues d' une tunique bleu clair et de mules ouvertes derrière.

Ursula s' était assise sur le bord de la longue commode plein de tiroir qui longeait tout un pan du mur de la salle de garde, ses jambes pendaient, elle avait déjà perdu une mule et jouait avec l' autre du bout du pied. Christine, assise sur une des chaises autour de la petite table, s' était carrément déchaussée et avait croisé ses jambes en posant ses pieds nues sur une autre chaise. Méline, devant la table, avait ramené ses pieds en arrière sous sa chaise, son pied d' appuie se cambrait dans sa chaussure à talon ouvert alors que son autre pied, posé dessus la cheville, avait perdu sa mule et offrait à la vue sa plante de pied plissée. Autant dire que si un fétichiste, amateur de pieds et de chatouilles, était entré à ce moment-là dans la pièce, on n' aurait retrouvé de lui qu' un petit tas de cendre fumant.

Justement, derrière une des portes du couloir portant le numéro 3, hospitalisé depuis une semaine, dormait Théo Dumont, un homme âgé de 76 ans, retraité d' un emploi au ministère de la culture, qui allait dans quelques jours subir une opération de chirurgie cardiaque. Pour l' heure, l' hésitation régnait. C' était une opération à cœur ouvert qui n' était pas sans risque, un risque aggravé par l' âge, et le corps médical était partagé entre continuer l' action médicamenteuse ou pratiquer une opération. Théo Dumont étant par ailleurs d' une santé globale satisfaisante, les médecins finiraient tout de même par lui proposer l' opération, jugeant qu' elle pourrait améliorer sa vie, voir la prolonger.



Qu' est-ce qui faisait autant rire les trois filles ? Surtout les mecs, évidemment ! Méline racontait les déboires qu' elle rencontrait avec Arnaud, le nouveau compagnon qui partageait sa vie depuis six mois. Six mois de trop ! disait-elle, avant de se demander comment elle avait pu tomber amoureuse lui.

— Quitte-le ! Et puis c' est tout ! trancha dans le vif Ursula. Tu peux me dire à quoi ça sert de se trimbaler un boulet comme ce type, ma chérie ? ( Ursula appelait souvent ses amies ainsi )

— Si seulement c' était aussi simple, il y a des fois où il peut être adorable. Et puis sans moi il serait complètement perdu ! soupira Méline.

— Si tu restes uniquement pour lui faire plaisir, ça te regarde !

— Et puis tu sais, plus tu attends, plus ce sera difficile, intervint Christine.

— Ah ça ! Tu en sais quelque chose ! s' exclama Ursula en rigolant.

— Je ne vois pas ce que tu veux dire par là, tu peux m' éclairer ? répondit Christine, en exagérant son étonnement.

Méline souriait. Il est vrai que Christine s' ouvrait souvent de la lassitude qui gagnait son couple. Ursula reprit de plus belle :

— Oh j' ai rien dit, c' est vrai que c' est l' amour fou entre toi et ton mec ... pouffa-t-elle.

— Parfaitement, tout va bien. On a des passages à vide mais c' est normal. Et puis tout le monde ne peut pas être une épouse parfaite comme toi, lança Christine, faussement flatteuse.

— Ursula, elle sait y faire avec les hommes ! plaisanta Méline.

— Ho oui, les hommes faut les tenir à la baguette, moi je vous le dis, au doigt et à l’œil. Sinon ils font n' importe quoi !

— C' est parce que tu as trouvé le bon. Vous étiez fait l' un pour l' autre, conclue Méline tristement.

— Oh oui mais crois moi qu' il faut le surveiller comme le lait sur le feu ! Et ne pas hésiter à le remettre dans la bonne direction !

— A l' entendre parler, on croirait que son mec est en prison, répliqua froidement Christine, ce qui fit rire Méline.

— Exactement, acquiesça Ursula en souriant, il est en prison et je suis la geôlière, c' est pour ça qu' on s' entend bien !

Cette réplique amusa les trois filles.

— Je me demande si je vais un jour trouver chaussure à mon pied, pensa tout haut Méline.

Soudain Christine eut comme une révélation, elle se redressa d' un coup et proclama :

— Mais je sais !

Les deux autres la regardèrent, interloquées.

— J' ai trouvé pour Méline qui pourrait être l' homme de sa vie !

Ursula commençait à sourire. Méline aussi mais en s' effondrant un peu. Les deux sentaient arriver une énormité.

— Vraiment vous ne voyez pas ?

C' est Méline qui comprit la première. De toute façon, ce genre de vanne était basé sur un principe chaque fois identique, le mariage se faisait avec un patient, en général le plus improbable, pour ne pas dire le plus repoussant de tous. Mais pas cette fois. Sur ce coup, le critère de choix du patient était différent. Méline le savait, c' est parce qu' elle s' entendait bien avec Mr Dumont que Christine l' avait choisi.

— Ha mais oui, bien sûr ! éclata de rire Ursula, c' est Mr Dumont !

— Super, il a plus de soixante-dix ans, fit remarquer la jeune femme.

— Il n' empêche que vous parlez beaucoup tous les deux, observa malicieusement Christine, remarque tant mieux il ne reçoit jamais de visite, j' ai appris l' autre jour que sa femme était décédée et qu' il avait aussi perdu son fils unique dans un accident, le pauvre.

— Oui, c' est quelqu' un d' attachant. Il est charmant et se comporte avec une distance incroyable par rapport à ce qui lui arrive. En plus il est très drôle, attentionné, il fait la conversation comme s' il n' était pas à l' hôpital. Et puis, il est un peu étrange, je veux dire par là énigmatique, vous ne trouvez pas ?

— Il m' a fait très bonne impression. C' est vrai qu' il a un coté mystérieux, admit Christine.

— Oui, et j' adore les mystères, avoua Méline. En fait, je n' ai jamais rencontré de patient comme lui.

— Moi non plus ! Et pourtant j' en ai vu des patients ! se vanta Ursula. Je vais te dire une chose ma chérie, il y a plusieurs types de patients, du plus horrible au plus gentil, parmi les gentils on en trouvera des séduisants, disons des séducteurs, mais ça passera vite et on sait très bien ce qu' il en est, n' est-ce pas ? Mais je veux bien aller en enfer et y être torturée si pendant toute une carrière tu ne rencontres pas au moins une fois ou deux un homme vraiment à part dont tu tomberas amoureuse ! Là, en l' occurrence, il est vieux, il n' y a pas de risque, mais tu verras qu' un jour ça arrivera et alors là...

— Il n' y a aucune raison que ça arrive, objecta l' infirmière en chef, parce qu' on sait très bien ne pas s' attacher au patient.

— Bien sûr ! Mais l' amour s' immisce partout, même là où on s' y attend le moins.

— Et moi je te dis que si on garde une certaine distance avec le patient, c' est hors de propos de tomber amoureuse de l' un d' eux.

— Mais le destin ! Attends...Tu crois vraiment que l' on choisit de tomber amoureuse ?

Sur un tableau, une petite lumière rouge sous le numéro 14, accompagnée de sa sonnerie, indiquait que le patient de la chambre 14 avait appuyé sur le bouton d' appel qui pendait près de son lit afin de requérir une infirmière.

J' y vais, dit Méline, en remettant son pied dans sa chaussure tout en se levant, tandis que les deux autres commençaient à se chamailler.

Ah, ces deux-là, on dirait un vieux couple ! pensa-t-elle.





Un autre soir,



Chez ceux dont l' activité est réduite, dix-huit heures marque le début de la soirée. Dans les maisons de retraite ou les hôpitaux, on commence à dîner. Méline apportait le plateau repas dans la chambre individuel de Théo Dumont, occupé à lire un livre, allongé sur son lit dans sa tenu réglementaire de malade, une sobre blouse, qui contrastait avec ses ridicules chaussons privées en forme d' Homer Simpson. A l' entrée de l' infirmière, il leva la tête et lui adressa spontanément un sourire auquel Méline répondit avec autant de sincérité, comme lorsque deux bons amis se retrouvent et savent d' avance qu' ils vont bien rigoler ensemble.

— Ha ! Bonsoir chère Méline !

— Bonsoir Mr Dumont ! Qu' est-ce que vous lisez ?

— Arf ! Des choses inutiles et stupides, écrites par un hurluberlu mort depuis longtemps.

Il s' assit sur le bord du lit et examina avec attention son repas, l' air intrigué.

— Zut, ils ont oublié le bigmac dans mon menu.

Ce qui dans la bouche de quelqu' un de son âge était assez drôle.

— On devrait vous apporter un happymeal, vous vous amuseriez avec le jouet ! Il paraît qu' on retombe en enfance dans sa tête lorsqu' on est vieux.

C' était sorti tout seul, mais immédiatement la jeune femme regretta un peu ses propos qu' elle ne trouvait finalement pas si malin, elle allait s' excuser quand il lui répondit sans ressentir la moindre vexation.

— Surtout pas ! Je risquerais de m' étrangler en avalant le jouet !

— Je viendrais vous aider, ne vous inquiétez pas ! rigola-t-elle.

— Vous savez qu' une fois j' ai sauvé une personne qu' un morceau de viande coincé dans sa gorge empêchait de respirer ?

— Ha oui ? En se plaçant derrière lui et, les deux poings serrés l' un dans l' autre sous le sternum, au niveau de l' estomac, en comprimant énergiquement en arrière et vers le haut ? Cela s' appelle la manœuvre de Heïmlich.

— Non pas du tout, j' ai branché l' aspirateur et lui ai fourré le tube dans la bouche.

Elle éclata de rire.

— Pffff, Théo...

— Non, c' est vrai, vous ne me croyez jamais !

— Avec vous, on ne sait jamais si ce que vous dites est vrai ou pas.

Elle regarda sur la table de nuit le livre qu' il avait posé, mais quelque chose juste à coté attira son attention, c' était un petit objet rond et plat en métal, comme un médaillon, avec de curieux symboles dessus. On pouvait le supposer ancien. Elle lui demanda ce que c' était.

— Oh ça...vous ne me croiriez pas.

— Dites toujours...

— C' est une amulette. Elle permet à son propriétaire de formuler trois vœux qu' elle exhausse.

Il avait dit ça d' un ton détaché, en mangeant. Elle le regarda en penchant mignonnement la tête sur le coté d' un air de dire tu te fiches de moi ?

Théo Dumont tourna la tête ; avec Méline ils se regardèrent dans les yeux pendant un bon moment sans rien dire, à moitié amusés à moitié provocateurs. A la fin, il reprit la parole.

— Je devais avoir votre âge lorsqu' on me l' a donnée.

— Qui vous l' a donnée ?

— C' est une longue histoire. C' était pendant les vacances universitaires, j' avais trouvé un boulot pour me faire un peu d' argent. A cette époque la cité de Carcassonne organisait une immense fête médiévale en été. J' avais été engagé, comme une dizaine d' autres étudiants, par le comité organisateur pour aider à préparer les festivités, entre les décors, les structures, les costumes, on faisait beaucoup de manutention aux quatre coins de la ville. On n' imagine pas le travail que ça représente, il y a les animations, les campements, la restauration, les jeux pour enfants, le banquet. C' était un moment extraordinaire de ma vie quand j' y repense...

Il marqua une pause, perdu dans ses pensées, avant de reprendre.

C' était lors d' une des premières soirée passée là-bas. J' avais quartier libre, je me baladais seul dans les rues de cette ville inconnue, sans trop savoir pourquoi, ni où aller. Je m' enfonçais dans les rues étroites de la vielle ville désertées par les touristes à cette heure où la nuit tombait. Soudain je l' aperçus. Au fond de ce qui semblait être une impasse, un gros chat était assis et me regardait. J' allais le voir, mais à peine arrivé près de lui, il fila vers la droite et disparut dans le mur. En m' approchant je constatais que la ruelle n' était pas tout à fait une impasse, car une autre ruelle, si étroite qu' on n' y passait qu' un seul à la fois, et constituée de pavé, montait par long palier jusqu' à je ne sais où. Le chat m' attendait un peu plus haut, assis, me regardant. Je m' approchais jusqu' à lui et une nouvelle fois il se sauva pour s' arrêter un peu plus loin, se retourner et s' asseoir en me regardant. Pris au jeu, je décidais de le suivre. J' avançais ainsi dans des ruelles minuscules et biscornues, il n' y avait pas de lampadaire et la nuit avançait, je constatais que la plupart des volets était fermés et qu' aucune lumière n' émanait des quelques habitations qui jalonnaient la ruelle où je me trouvais alors. Je me rendis compte que j' étais complètement perdu. Je commençais à trouver cela ridicule, ce chat était simplement en train de fuir devant moi, et moi, je le suivait comme un imbécile dans ces ruelles pavées datant du moyen age dans lesquelles l' obscurité et le silence qui y régnaient maintenant m' oppressaient un peu. Je résolus de m' en aller, sans pour autant faire demi-tour, car j' aurais été bien incapable de retrouver mon chemin et l' avant de la ruelle dans laquelle je me trouvais me paraissait plus engageant qu' en regardant derrière moi. J' avançais donc, mais, ô surprise, cette fois le chat ne s' enfuit pas lorsque je fus prés de lui. Je m' accroupis pour le caresser quand tout à coup, juste à notre hauteur, une porte s' ouvrit et nous fûmes le chat et moi baignés dans un rectangle de lumière au milieu de l' obscurité de la ruelle. Une vielle dame d' au moins cent ans se tenait dans l' embrasure, le chat partit se frotter contre ses jambes. Oh Minigris ! Te voilà ! Où étais-tu donc passé ? demanda la vielle au chat, puis me regardant, elle m' invita chez elle, vous avez retrouvez mon chat jeune homme, ça faisait neufs jours qu' il était parti, rentrez donc un peu, je vous en prie. Évidemment je refusais mais devant son insistance je finis par rentrer chez elle. J' étais jeune, elle était hors d' age, autant vous dire qu' en pénétrant chez elle, j' eus l' impression d' être dans un autre monde. Les odeurs, les objets, l' ameublement, la lumière, tout était surnaturels pour moi. On discuta un peu, c' était surtout elle qui parlait et qui m' interrogeait. Au moment de partir, elle m' indiqua, sur ma demande, comment rejoindre la rue piétonne du centre ville, je compris la moitié de ses indications mais je la remerciai chaudement. Et c' est là, sur le perron de sa porte qu' elle me donna l' amulette.

— Vous avez retrouvé mon chat, me dit-elle, et pour une personne de mon âge, qui n' a plus de famille, qui va bientôt mourir, vous ne pouvez pas savoir ce que représente mon chat. Tenez, je vous donne ce talisman, je n' en aurais plus besoin désormais. Il est à vous, me dit-elle en prenant ma main pour la fermer autour du talisman.

— Merci, c' est très gentil à vous mais vous n' êtes pas obligé, vous savez...

— Attention ! cria-t-elle en levant son index tout tordu, cet objet est magique, il permet d' exaucer trois vœux, vous entendez ? Vous n' avez que trois vœux à formuler, faites attention jeune homme, ne prenez pas le pouvoir d' un souhait à la légère.

Puis elle referma la porte. C' est ainsi que l' amulette, dont je ne soupçonnais pas encore le pouvoir à l' époque, est entré en ma possession. Depuis j' ai formulé deux vœux, il m' en reste un.

Méline était perplexe. Ce gredin de vieillard la menait en bateau mais il avait raconter l' histoire avec beaucoup d' émotion, c' était vraiment un bon acteur. La jeune et joli infirmière et son vieux monsieur de patient se dévisagèrent un moment, puis ils éclatèrent de rire ensemble.

Curieuse, elle lui demanda quels avaient été ses deux vœux, afin de le confondre, ou que sa réponse mette à jour sa supercherie, mais Mr Dumont restait dans son rôle en lui répondant que c' était là une histoire encore plus longue.

— Allez, dites-moi rapidement !

— Non, non, vous avez sûrement des choses à faire mais revenez plus tard, je vous raconterais l' histoire de mon premier vœu si vous voulez.

— Vous savez ménager le suspense, finit par abdiquer Méline, bonne appétit, à tout à l' heure.

Elle sortit pour rejoindre la salle de garde où Ursula s' occupait de préparer les médicaments et les perfusions du soir tandis que Christine était au téléphone avec un médecin.

— Alors, au fait, tu lui as dit ? fit Ursula sur le ton de la confidence.

— Dit quoi ? répondit Méline qui avait encore un peu la tête dans les ruelles de Carcassonne.

— Dit à ton mec que tu le quittais voyons ! L' autre jour tu nous as certifié que ta décision était prise, tu avais l' air tellement décidé ma chérie, j' ai cru que tu l' avais fait.

— Non, pas encore mais bientôt.

— Bientôt quoi ? s' enquit l' infirmière en chef qui venait de raccrocher.

— J' ai pas encore eu le temps d' annoncer à Arnaud mon intention de rompre.

— Ah ? Pourtant tu avais l' air bien décidé la dernière fois. Bon il faut que j' aille au service cardio, je reviens tout de suite. Avant la fin de semaine il faudra faire le contrôle de la fiabilité et de l' état des stocks et du matériel.

— C' est au tour d' Ursula, s' empressa de dire Méline en souriant à Christine car toutes les deux savaient bien que leur amie détestait cette tache.

— Oh malheur de malheur ! Qu' est-ce que j' ai fait pour mériter cette punition ! se lamenta la belle infirmière noire.

Moins d' une heure plus tard, Méline entrait dans la chambre de Théo Dumont, pour débarrasser son plateau et prendre sa tension.

Comme d' habitude, ils se sourirent en se voyant.

— Alors ? Vous avez eu le temps de peaufiner votre petit canulars ?

— Oui, il est prêt. Asseyez-vous au bord du lit.

— Voyons, je travailles. Si ma chef me voyait assise que penserait-elle ?

— Christine c' est ça ? Elle est adorable. On l' entendra entrer de toute façon, vous n' aurez qu' à vous lever précipitamment. Je ne vous dénoncerais pas.

— Il ne manquerait plus ça !

Mr Dumont était allongé, le dossier du lit d' hôpital relevé. Méline vint s' asseoir au bord du lit en prenant son bras pour mesurer sa tension.

— Alors ? Quels vœux avez-vous fait qui se seraient réalisés ?

— Ce que je vais vous dire, Méline, je ne l' ai jamais raconté à quiconque, dit solennellement le vieil homme, puis il raconta son histoire.

Parmi les étudiants venus travailler à Carcassonne il y avait une fille qui s' appelait Léonie Grazzi. Nous avons très vite sympathisé, elle était vive, drôle, bavarde, malicieuse et toujours prête à faire des bêtises, j' adorais ça. Mais notre coté insolent, limite tire-au-flanc, ne plaisait pas à tout le monde et la directrice nous a gentiment pris en grippe tous les deux. C' était une femme sévère, mais je la comprend, elle avait beaucoup de responsabilité et se souciait peu de se montrer amicale avec le petit personnel que nous étions tant elle était affairée. Mais au fond, je pense qu' elle nous aimait bien. Elle nous appréciait tellement qu' un jour, pour nous punir de je ne sais plus quelle gaminerie que nous avions faite, elle nous envoya, Léonie et moi, faire du rangement, afin de gagner de la place, dans la grande salle du sous sol où était entreposé tout le petit matériel des éditions précédentes, inutilisé cette année. C' était tant mieux !Nous nous réjouissions, Léonie et moi, de passer un après-midi ensemble loin des autres. Sans trop de regret, nous quittâmes donc le beau soleil d' août pour descendre tous les deux un large escalier en colimaçon qui menait au sous sol. Au bas de l' escalier, suivant les indications de la directrice, nous ouvrîmes la porte de gauche, puis il fallu trouver l' interrupteur qui allumait une rangée de néons au dessus d' un long et large couloir peint en vert moche. Au bout de ce couloir, une porte s' ouvrait sur la salle que nous devions ranger. La pièce était remplie de bric-à-brac, beaucoup de cartons, des objets de décors, un peu de tout et n' importe quoi avait été jeté là au fur et à mesure des années, empilé à la va-vite sans souci de rangement. Il s' était amassé des tas de choses dans cette pièce extrêmement volumineuse. Il y avait aussi quelque chose de spécial dans cette pièce. A vrai dire ils était deux, l' un à coté de l' autre. Ils devaient avoir servi d' animation pendant une des dernières fêtes médiévales. Savez-vous ce qu' est un carcan ?

— Bien sûr, on met le cou et les mains comme ça, mima Méline dont l' intérêt grandissait.

— Pas ceux-là. Sur eux on s' asseyait sur un banc avant de mettre les pieds dans les trous, vous voyez ?

— Oui.

— Et bien ce qui devait arriver arriva ! Voyez-vous, j' en parle plus facilement maintenant que je suis vieux, et que ces choses-là ne sont plus de mon âge, mais j' ai toujours eu un penchant prononcé pour les chatouilles, surtout sous les pieds.

— Un penchant ? Vous voulez dire un penchant... sexuel ?

— Bien que j' ai conscience que les chatouilles peuvent relever d' une simple activité amicale et ludique, comme ce sera le cas dans mon histoire, oui, c' est ce que je voulais dire. Voyez-vous la plante de pied d' une femme est pour moi d' une grande sensualité, et les chatouilles sont une pratique qui intègre également mon univers érotique. J' espère ne pas vous mettre mal à l' aise ?

— Vous rigolez ? Il m' en faut un peu plus ! Si vous savez ce qu' on voit débarquer aux urgences et qui laisse deviner des pratiques bien plus inavouable, sourit Méline, continuez !

— Et bien je ne sais plus trop comment le jeu commença, ma mémoire me fait défaut, ce qui se passa par la suite fut si intense que j' en ai oublié le début. Je ne me rappelle plus qui de nous deux en a parlé le premier, mais on s' est tout de suite mis d' accord pour s' accorder une petite pause récréative afin d' essayer les instruments en rigolant, je me souviens qu' aucun de nous ne voulait jouer le rôle du supplicié ! Finalement c' est elle qui s' y colla. Elle retira ses baskets et je refermai le carcan sur ses petits pieds en chaussette blanche.

Mr Dumont rigola, puis marqua une pause, visiblement ému.

— Tout va bien ? s' inquiéta Méline.

— Oui, pardonnez-moi. Il est peut-être temps de vous dire que cette étudiante rencontrée durant un job d' été, Léonie, deviendra mon épouse, et partagera quarante ans de ma vie.

— Oh !

— Oui, mais pour l' instant nous n' étions que deux jeunes gens qui faisions connaissance. Mais comme vous pouvez le devinez, j' étais déjà très attiré par elle, vous imaginez mon émotion en retirant pour la première fois ses chaussettes pour dévoiler sa mignonne plante de pied.

— Et vous l' avez chatouillée ?

— Oh que oui ! Je m' en suis donné à cœur joie. Ses pieds ont répondu avec beaucoup de sensibilité à mes premiers attouchements, elle-même sembla surprise de se découvrir un point faible aussi terrifiant. Je la chatouillais sans merci, elle riait et se tortillait. Je me souviens qu' elle répétait sans cesse «ho non c' est pas possible, c' est pas possible ! » avant de repartir de plus belle dans un rire incontrôlable. Puis elle commença à me demander la pitié. Je diminuai l' intensité tout en continuant à la taquiner. Elle me suppliait et j' adorais ça.

Le vieil homme racontait sa vie, perdu dans ses pensées, le regard dans le vide, tandis que Méline n' en perdait pas une miette.

— Et c' est à ce moment là qu' elle est arrivée ! dit soudain le conteur.

— Qui ça ?

— En réalité, je parie qu' elle devait être là depuis un petit moment derrière la porte à nous espionner.

— La directrice !

— Oui ! Comment s' appelait-elle déjà ? demanda pour lui-même le vieillard, ah oui Mme Sanchez ! Une grande brune, dynamique. Une belle femme. Elle devait avoir au moins vingt ans de plus que nous à l' époque.

— Elle vous a passé un savon ?

— Un peu, ça démarra classiquement en nous demandant si c' était « comme ça qu' on range ? », nous étions médusés, on ne savait pas quoi dire, ça nous avait coupé net. En plein rêve, la triste réalité nous tombait dessus d' un coup. De plus, je ressentais de la honte, je devais être tout rouge, car si la complicité qui me liait à Léonie me permettait de laisser s' extérioriser un pan de ma personnalité d' ordinaire caché, il n' en était pas de même pour la relation que j' entretenais avec la directrice, et l' idée que cette femme m' avait surpris en train de chatouiller les pieds de Léonie m' intimidait beaucoup. Ce fut pire lorsqu' elle se planta devant moi en me fixant dans les yeux pour me demander si moi, ça ne me dérangeait pas de chatouiller les pieds des filles, en m' appelant Monsieur Dumont. Je bredouillai je ne sais quoi quand elle m' ordonna de prendre place sur le deuxième carcan, juste à coté de Léonie.

— Non ?

— Si ! J' ai vaguement marmonné une protestation mais elle insista pour que j' obéisse immédiatement sans oublier d' enlever mes baskets, et dans l' état où j' étais, je me suis exécuté sans protester. Du coin de l' œil, j' ai vu poindre un sourire discret chez Léonie dont les yeux pétillaient d' enchantement. En prenant place je me disais mon dieu, elle m' a fait me mettre en chaussette. Ses intentions ne faisait aucun doute mais je n' osai pas y croire. Cette femme allait me chatouiller comme ça, en toute impunité, et sous les yeux de Léonie en plus ! Au moment de refermer le carcan sur mes chevilles, son téléphone sonna, elle répondit en se détournant un peu de nous. Tous deux prisonniers juste l' un à coté de l' autre ( nos pieds pouvaient presque se toucher ), Léonie et moi en profitions pour échanger un regard et un sourire plein d' amusement et de solidarité complice, de ceux qu' échangent en pouffant les enfants qui viennent de se faire gronder quand la maîtresse finit par leur tourner le dos. Au téléphone, Mme Sanchez demanda à son interlocuteur si la situation était vraiment urgente. Silencieux, nous attendions la réponse, la directrice finit par dire qu' elle arrivait tout de suite et raccrocha, contrariée. Elle rangea son téléphone dans sa poche, s' approcha de nous, d' un geste rapide ôta la chaussette de mon pied le plus proche de celui de Léonie, et nous chatouilla un pied chacun en même temps, tout d' un coup, très intensément, en nous disant «et vous deux, vous allez me faire le plaisir de ranger tout ça et en vitesse, compris ? »

— Oh la cruelle ! ne put retenir Méline, fascinée.

— Nous étions si surpris par cette torture inattendu qu' aucun de nous deux n' avons répondu tout de suite ! Personnellement j' essayai de m' arrêter de rire mais impossible de soustraire mon pied aux caresses perfides des doigts de la directrice, je découvris le supplice insupportable d' être chatouillé en étant attaché. Il fallu que notre tortionnaire repose la question. « Alors, compris ? Oui ou non ? » dit-elle. Nos oui se multiplièrent, en cœur. Elle continua encore un instant, preuve de son sadisme, puis stoppa sa punition.

Théo Dumont fit une pause dans son récit.

— Tout ça est...incroyable, Mr Dumont.

Méline, littéralement absorbé par cette histoire, eut soudain une illumination.

— Une minute, je ne vois pas le rapport avec les vœux ?

— J' y viens, j' y viens. Mais j' aimerais conclure rapidement en précisant qu' avant de partir précipitamment, cette sorcière de Mme Sanchez ne débloqua qu' un seul carcan.

Un sourire entendu s' afficha en même temps sur le visage de l' infirmière et celui de Théo.

— Je vous laisse imaginer la mine réjouie et le regard espiègle que me lança cette revancharde de Léonie en se tenant debout devant moi, qui était encore prisonnier avec une chaussette en moins.

— Je peux imaginer, dit Méline du bout des lèvres.

— J' en viens à ce qui nous intéresse. Sinon, nous en aurions pour toute la nuit. Voyez-vous la fête médiévale devait débuter un lundi et durer toute la semaine. Mais dès le mercredi d' avant, la rumeur circulait que l' organisation avait pris du retard, car il avait été demandé à certain étudiant s' il voulait bien travailler le samedi et le dimanche. Le jeudi, nous travaillions ensemble avec Léonie lorsque nous fumes demandés au bureau de Mme Sanchez. Sur la route, nous supposions qu' elle devait vraiment être désespérée pour faire appelle à nous. Certains bruits avançaient que le maire lui mettait la pression et qu' avec le retard accumulé elle avait le feu aux fesses. Surtout qu' aucun de nos amis étudiants à qui on avait posé la question ne voulait rester le week-end, tous avaient d' autres choses de prévu, ou rentraient voir leur famille. Léonie et moi, ça ne nous dérangeait pas. Elle nous fit nous asseoir devant son bureau. Son attitude, son regard et son ton étaient toujours aussi sévère. Elle ne nous avait pas fait venir pour nous supplier de rester.

— Je ne vais pas vous le cacher, nous sommes en retard sur les délais. Il faut dire que les trois jours de pluie que nous avons eu la semaine dernière n' ont rien arrangés. Bref, nous avons besoin que des étudiants travaillent ce week-end. Ce sera très bien payé. Évidemment tout cela est en dehors du contrat de travail, on ne peut pas travailler sept jours d' affilés. On s' arrangera, rassurez-vous, et comme je vous l' ai dit, les étudiant sélectionnés pour travailler seront bien rémunérés. Vous avez de la chance tous les deux, car j' ai pensé à vous ! Je suppose que vous n' avez rien d' urgent à faire ce week-end ?

C' est Léonie qui lui répondit, je ne sais pas si elle improvisa où si c' était prévu.

— Vous savez, l' argent ne nous intéresse pas trop. Nous, on veut bien vous aidez. On est prêt à travailler jour et nuit pour que tout soit OK pour lundi. Mais il y a quand même une condition.

N' osant pas trop se réjouir, mais un peu soulagée, quoique intriguée, Mme Sanchez demanda de quelle condition il s' agissait.

— Accompagnez-nous au sous-sol et laissez-nous vous chatouiller, Mme la directrice.

Je n' en revenais pas, j' étais sidéré, mon cœur fit un bond ! La directrice accusa le coup, mais ne se laissa pas démonter.

— Vous plaisantez j' espère ?

— Pas du tout, sourit Léonie.

— Vous croyez vraiment que je vais me laisser chatouiller par vous, Mademoiselle Grazzi ?

— Par moi et par Théo, et dans le carcan. Durant une heure. On vous donne notre week-end, vous pouvez bien nous donner une heure.

Léonie ne manquait vraiment pas de toupet. Un odieux chantage, certes, mais ô combien génial et opportun. Malheureusement l' honorable directrice refusa. Elle ne s' inquiétait pas, d' autres étudiants feraient l' affaire. En partant Léonie lui dit que c' était tant pis mais qu' elle n' hésite pas à venir nous voir si son avis changeait.

Et bien dès le lendemain, juste après le déjeuner, Mme Sanchez vint nous trouver afin de savoir si nous étions toujours d' accord pour ce week-end ! Je peux vous dire qu' à l' instant même où elle précisa nous accorder une heure et pas une minute de plus, je fus transporté sur une autre planète. La traversée du couloir menant à la salle du supplice, jamais je ne l' oublierais. En silence, la fière directrice marchait entre nous, telle une condamnée qu' on mène à la torture (et c' était le cas), il ne manquait que les menottes. Je me souviens le bruit des talons de ses escarpins noirs qui résonnait de leur claquement strict. Je n' arrivais pas à croire que dans une minute j' allais chatouiller cette femme. J' allais emprisonner ses pieds dans un carcan, j' allais la déchausser, j' allais pouvoir contempler sa plante de pied tout à mon aise, j' allais effleurer de mes doigts le dessous de son pied et cela provoquerait pour elle un rire non désirée mais impossible à retenir. Bientôt, Mme Sanchez, la directrice, rira sous la torture de mes chatouillements et je serai seul maître à décider d' arrêter où de continuer son supplice. Elle sera en mon pouvoir. Je me demandais si Léonie se réjouissait autant que moi à cette idée. Allons-y et dépêchons-nous car du travail nous attend, fit sèchement la directrice, mais l' on sentait que cette sommation forcée cachait sa fébrilité. Elle s' assit, je fermai le haut du carcan sur ses chevilles. Léonie, derrière elle, se saisit de ses mains pour les attacher au dessus de sa tête. Elle se laissa faire mais nous prévint que son accord ne concernait que ses pieds, ce qui était déjà pas mal. Léonie lui fit remarquer sadiquement qu' elle n' était plus en mesure de donner des ordres, puis lui flatta les aisselles de ses doigts agiles l' espace d' une seconde, ce qui fit sursauter la directrice qui ravala sa fierté.

— Je sens qu' on va bien s' amuser, n' est-ce pas Théo ?

Je m' étais déjà assis en tailleur devant un des pieds de notre captive, près à lui ôter sa chaussure.

— Un chacun pour commencer ?

— OK ! Allons-y, mettons-la pieds nus.

Je ne fus pas déçu, ses magnifiques pieds puissants étaient à la hauteur de son caractère.

Léonie regarda l' intérieur de l' escarpin.

— Du 42 ! Mme la directrice, comme vous avez de grands pieds !

Je connaissais le conte et sauta sur la répartie

— C' est pour mieux être chatouillée, mon enfant.

La directrice faisait la moue devant nos enfantillages. Nous l' avons vite déridée. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais elle en a eu pour son grade.

— C' est dommage, vous racontez si bien, se désola Méline.

— De toute façon, c' est le genre de choses qui ne se raconte pas, il faut le vivre. Sachez seulement que oui, cette femme sévère qui ne souriait pas était extrêmement chatouilleuse. Quel contraste que de la voir rire aux éclats sans s' arrêter. Et oui, nous l' avons chatouillée partout, pour ma part j' en suis resté aux pieds mais Léonie s' est occupée de ses flancs, ses aisselles, et même ses cuisses. Et enfin oui, elle nous supplia, ce fut sans doute une humiliation pour elle mais elle nous demanda la pitié, et ce au bout d' un quart d' heure seulement. Le temps est relatif, et une heure passe bien différemment selon qu' on soit d' un coté du carcan ou de l' autre. Et c' est ainsi que mon premier vœu se réalisa.

— C' est à dire ? Je ne comprend pas ?

— Et bien le jour où Sanchez me surprit à chatouiller Léonie, le hasard voulut que le soir même je prenne le talisman en main avant de me coucher, juste comme ça, pour le regarder, je ne croyais pas du tout en cette histoire de magie, à mes yeux la vieille était folle. Les événements de la journée m' avaient tant marqués que je me mis à parler à haute voix d' un air désabusé au talisman pour lui dire que si vraiment il exauçait les vœux, je souhaitais chatouiller les pieds de Mme Sanchez. J' ai dit ça en l' air, sans réfléchir, sans intention réelle, d' une certaine façon on pourrait penser que j' ai gâché un vœu, mais au fond je ne crois pas. Et ainsi j' ai eu l' assurance que le talisman fonctionnait.

— Vous plaisantez ! Quelle arnaque ! s' offusqua Méline en rigolant, un hasard, voilà tout !

— Le mot « hasard » englobe bien des choses, chère Méline.

— Il n' empêche que sans faire le vœu, tout cela se serait produit quand même.

— Vous n' en savez rien. Et nous ne le saurons jamais.

— Mince, je dois y aller, je suis déjà rester trop longtemps. J' espère que votre deuxième vœu est plus spectaculaire ?

— Je ne sais pas si je vais vous le raconter...j' hésite...

— Oh allez, je vous apporterais un deuxième dessert demain.

— Un deuxième dessert ! éclata de rire Mr Dumont, et ça marche avec les autres personnes âgés ça ?

— Alors quoi ?

— Vous pourriez me montrer votre plante de pied, par exemple.

Cette fois, c' est Méline qui éclata de rire.

— Et ça marche avec les autres filles ça ?

— En tout cas, ça a marché avec vos deux collègues.

— Comment ?

Devant la stupeur de Méline, Théo Dumont s' expliqua.

— Je ne leur ai pas raconté une seconde de ma vie, il n' y a qu' à vous que je me suis ouvert. Non, je leur ai simplement demandé de me montrer leur dessous de pied. Ursula s' est exécutée avec plaisir, pour Christine ce fut un peu plus difficile mais elle a fini par céder. Voyez-vous, à mon âge et dans ma situation, on a moins peur et pas grand chose à perdre. Franchement, ça ne fait de mal à personne un petit coup d' œil.

— Je vois, qui ne tente rien n' a rien, vous êtes un sacré bandit Mr Dumont. Mais dites-moi, pourquoi ne vous servez-vous pas de votre dernier souhait pour demander, je ne sais pas moi, la vie éternelle par exemple ?

— Ha ! Plein d' argent ou la vie éternelle, voilà les vœux classiques. C' est drôle mais personne ne souhaite ce que pourtant tout le monde passe sa vie à chercher.

— Qu' est ce qu' on cherche toute notre vie ?

Perdu dans ses pensées, Mr Dumont continua sans répondre.

— Et puis dans mon état, vous rigolez ? A la limite je pourrais demander à redevenir jeune, mais il faudrait revivre toute une vie, avec ses bonheurs mais aussi avec ses souffrances, et dieu sait qu' il y en a. Est-ce que cela serait vraiment sage ?

— Je crois que ça vaudrait le coup, dit Méline en s' en allant, j' adorerais vous voir jeune en plus !

— Attendez ! Et pour mon petit coup d' œil alors ?

La jeune infirmière revint sur ses pas.

— Je vous dit solennellement, Mr Dumont, que si vous redevenez jeune, vous pourrez me chatouiller pendant une heure, se moqua-t-elle gentiment.

— Vraiment ? Vous dites ça maintenant mais devant le fait accompli, vous trouverez à chipoter.

Ils rigolèrent tous deux puis Méline redevint sérieuse.

— Absolument pas! Si vous m' apparaissez en ayant mon age, je ne dirais rien, je ne poserais pas de question, j' irais m' allonger docilement sur ce lit, sans un mot, pour y être attachée et chatouillée. Bonne nuit Mr Théo Dumont, à plus tard.

— A plus tard, Méline, bon courage pour cette nuit.

En effet il fallut du courage lors de cette nuit agitée, ce n' est que vers quatre heures moins le quart du matin, un peu avant la fin de service de Méline, que les trois infirmières purent se retrouver ensemble dans la salle de garde pour prendre un café. La conversation s' orienta bientôt vers ce patient si singulier dans ses manières qu' il avait réussi à obtenir la faveur de pouvoir admirer la plante des pieds de deux infirmières. C' était pour lui faire plaisir et ça ne coûtait rien, disait Ursula, qui semblait la mieux informée du trio à propos de ces petits plaisirs fétichistes car son mari s' occupait parfois de lui faire un massage des pieds en bonne et due forme, et elle recommandait chaudement les sensations que cela procurait. Méline ne raconta rien de ce que lui avait confié son vieil ami, mais elle était curieuse d' en savoir plus sur ses collègues.

— Et toi aussi Christine, tu lui as céder tes pieds ?

— Oui, j' ai fini par lui laisser jeter un coup d' œil rapide, je lui ai montré comme ça. Joignant le geste à la parole, l' infirmière en chef qui était debout, sortit son pied de sa chaussure, pour amener le talon toucher ses fesses en s' aidant de sa main, exhibant ainsi sa plante de pied à la vue de ses amies. Si ça peut lui faire plaisir, du moment qu' il ne me chatouille pas, je suis très chatouilleuse des pieds, pas vous ?

— Moi c' est horrible ! s' exclama Ursula, je suis te-rri-ble-ment chatouilleuse ! Vous allez trouvez ça bizarre mais le pire c' est sur les seins !

— Ha oui ? firent en cœur les deux infirmières.

— Non pas que cela me fasse hurler de rire, mais des chatouilles sur les seins et notamment sur le bout des seins, houlala, ça me fait des sensations, humm....c' est insoutenable !

Si elle dit ça, c' est qu' elle y a déjà eu droit, pensa Méline, elle doit avoir une vie sexuelle assez intense.

— On ne peut pas vraiment parler de chatouille si ça ne te fait pas rire, objecta Christine, disons que la caresse est insupportable. Tu as d' autres endroits sensibles ?

— Comment ça, c' est pas des chatouilles ? Mais si ! Quand on est caressé à un endroit et que cela provoque sur la peau des petites vibrations insupportables, ça s' appelle des chatouilles. Un peu comme avec une plume sous le nez ou au creux de l' oreille.

C' est reparti pour se chamailler, songea Méline avec amusement.

— Les chatouilles provoquent le rire. Autrement, ce sont des chatouillis, pas plus.

— Appelle ça comme tu veux ma chérie, moi je te dis que ça relève du même procédé.

— Qu' est ce que tu es têtu !

— Je ne suis pas têtu, mais je me connais quand même ! Sous les pieds, sous les bras, sur les cotes, je hurle de rire ! Mais je crains dix fois plus les chatouilles sur le bout des seins, c' est tout !

— Bon, et toi Méline, à quel endroit es-tu chatouilleuse ?

— Je vous avoue que je suis sensible de partout. Mais j' aime bien ça, je ne sais pas pourquoi, avec mon premier mec on se faisait souvent des batailles de chatouilles.

— Et avec l' actuel ? osa timidement Ursula.

— M' en parle pas, je le vois demain pour déjeuner. D' ailleurs je vais y aller les filles, il faut que je dorme un peu pour être en forme à midi. Je suis crevée en ce moment. J' en ai marre, ça ne rime à rien, je vais lui annoncer mon intention de mettre un peu de distance entre nous, on verra bien...

Après avoir refusé un autre café pour la route, la jeune femme embrassa chaleureusement ses collègues qui ne manquèrent pas de lui adresser leurs meilleurs vœux de réussite et de chance pour demain, tout en lui assurant que tout ira bien. A peine Méline eut-elle franchi la porte, qu' Ursula se tourna vers Christine.

— Tu crois qu' elle va le quitter demain ?

— Je te parie que non.

— Elle a l' air motivé, je crois que cette fois c' est la bonne, dit avec fermeté la pulpeuse infirmière noire, toujours optimiste.

— Tout ce que tu veux que non.

— Ce que tu peux être négative ma chérie. Tu veux qu' on parie vraiment ? On parie quoi ? Tiens, si je gagne c' est toi qui t' occupe de contrôler l' état des stocks et du matériel pour cette semaine à ma place, ça marche ?

La belle infirmière en chef au blond chignon réfléchit une seconde, puis tendit la main.

— D' accord, et si c' est moi qui gagne ?

— Tu ne gagneras pas ! fanfaronna Ursula en rigolant.

— Si c' est moi qui gagne je te chatouille jusqu' à ce que tu comprennes ce que c' est que des chatouilles, décréta Christine en souriant, l' air de dire qu' elle avait raison sur toute la ligne.

Ursula, qui avait déjà commencé à tendre sa main, rigola de plus belle en disant que c' était d' accord, et les deux amies, avec autant de bonne humeur que de fierté, se tapèrent dans la main.





Un dernier soir,



En fermant les volets roulants d' une des chambres de l' hôpital, Méline regardait la lune presque pleine. Après le raffut d' hier et avant la pleine lune, ça devrait être calme. La nuit promettait d' être tranquille donc, mais étrange. Déjà que Christine avait eu un comportement étonnant en lui demandant de mentir. Elle était tombée sur elle au moment de son arrivée, et après lui avoir demandé si elle avait quitter Arnaud (d' ailleurs c' était la première nuit officiellement célibataire, mais elle s' attendait à recevoir des messages de sa part, les messages bizarres d' un homme largué et enivré d' alcool) Christine lui demanda de prétendre le contraire à Ursula. Tu lui diras plus tard, pour l' instant quand elle va te le demander, fais comme si ce n' était pas le cas, tu me rendrais service, je t ' expliquerai, implora son amie. Elle n' aimait pas mentir et le faisait très mal, mais elle accepta. Ainsi, lorsqu' Ursula aborda le sujet, Méline botta en touche, prétextant ne pas avoir eu le temps, devant une Christine qui souriait étrangement, va savoir pourquoi. De toute façon, elle avait d' autres chats à fouetter, il était déjà tard et elle devait rendre visite à Mr Dumont. Elle lui avait promis de passer le voir, il insista pour vingt-trois heures, elle trouvait que c' était vraiment tard, surtout pour quelqu' un qui devait se faire opérer le lendemain matin. Mais elle avait fini par accepter son rendez-vous. Décidément, tout le monde lui demandait des choses insensés. Mais elle était tellement fatiguée en ce moment, sa vie sentimental et son travail l' épuisaient, qu' elle n' avait pas envie de lutter. Elle trouva Théo Dumont en train de lire sur une des deux confortables chaises de la chambre, placé là pour les visiteurs. Il se leva pour aller l' accueillir.

— Méline, j' ai un immense service à vous demander.

— Je crois deviner, mais d' abord j' aimerais bien connaître votre deuxième vœu, mon cher.

— Je vais faire bien mieux que ça. Je vais vous dévoiler mon troisième vœu.

— Voyez-vous ça ?

— Mais je voudrais le faire sans être dérangé, auriez-vous l' amitié de m' accorder une petite heure ? Peut-être pourriez-vous prendre une pause ?

— Je peux m' arranger avec mes collègues, oui. Je vais aller leur demander.

— Formidable ! Mais attendez, j' ai autre chose à vous demander. Lorsque vous reviendrez, pourriez-vous ramener quelques rouleaux de bandage ? Oh rassurez-vous je ne me suis pas fais mal. Vous comprendrez.

Mais la jeune fille, pas tellement ingénue, comprenait déjà. Sans blessure, à quoi pouvait servir un rouleau de bandage, si ce n' est pour ligoter.

— Théo... lui dit-elle en inclinant la tête, d' un air de reproche navré.

— Méline... faites-moi confiance, voulez-vous ?

— Très bien, je vais voir, je reviens.

Elle sortit de la chambre et fit quelques pas avant d' entrer dans la salle de garde où ses amies étaient là toutes les deux. Elles s' étaient arrêtées de parler à son entrée. Ursula était assise sur une chaise, la mine penaude, et faisait face à une Christine debout, fière, les bras croisés, qui la toisait d' un regard déterminé. D' ordinaire imposante, Ursula paraissait un peu emprunté. Méline fila vers l' armoire contenant les bandages et pris deux rouleaux dans sa poche, tout en demandant à ses collègues si ça ne les dérangeait pas qu' elle s' absente pour une heure.

— Mais pas du tout, répondit Christine d' un ton ravi, au contraire n' est ce pas Ursula ?

— Oui, oui, pas de problème marmonna presque craintivement l' opulente infirmière en guise de réponse, elle qui d' habitude était si volubile.

Méline remercia puis sortit en fermant la porte, non sans remarquer que trois rouleaux de bandage étaient posés sur la table. Quelle étrange nuit se dit-elle.

Sur le chemin, elle se promit de ne pas aller trop loin avec Théo, ce n' est pas tant qu' elle ne voulait pas, mais elle avait peur pour son cœur. Et puis, il faut bien le dire, chatouilleuse comme elle était !

C' est bizarre, il n' y avait personne dans la chambre. Et seule la petite lumière était allumée. Elle sortit les bandages de sa poche.

— C' est vous Méline ? fit la voix de théo Dumont depuis la salle d' eau.

— Oui, tout va bien ?

— Oui, je voulais que vous entendiez ma voix. Savez-vous pourquoi ?

— J' avoue que non, vous m' intriguez.

— Bien sûr que vous ne savez pas. Il faut avoir un peu vécu pour se rendre compte de cette réalité pourtant si évidente. On s' en aperçoit pleinement en retrouvant une personne qu' on a pas vu depuis au moins... vingt ou trente ans ! Voyez-vous l' être humain change physiquement avec le temps. Il vieilli, sa peau se ride, son apparence change, son corps s' érode mais il y a une chose qui ne change pas, c' est sa voix. On garde la même voix. Et même si elle change, c' est d' une façon si minime qu' il est toujours possible de reconnaître la personne les yeux fermés sans aucun doute grâce à sa voix. L' intonation d' une voix, son timbre, sa résonance, son accent. Que l' on soit jeune ou vieux, il y a dans notre voix un peu de nous qui dure toujours. C' est pour ça que je voulais que vous entendiez ma voix avant que de me voir.

Théo Dumont sortit de la salle d' eau. Méline eut un mouvement de recule. Sa bouche s' ouvrit mais aucun son n' en sortit. Devant elle, un homme. Il avait une blouse d' hôpital, des chaussons Homer Simpson, de la même taille que Mr Dumont mais plus costaud. Elle le dévisagea, c' était bien lui, aucun doute. Il était jeune, beaucoup plus jeune, il avait le même âge qu' elle, mais ses traits, ses yeux, la forme de son nez, tout, c' était Théo Dumont. C' était lui.

— C' est pas possible, finit-elle par articuler lentement.

Il fit oui de la tête en souriant. Elle cherchait quoi dire mais lui, avec un signe de l' index sur la bouche, il chuchota un long chut, puis il lui désigna le lit en souriant de plus belle.

Elle regarda en direction du lit où était posé sur l' oreiller, comme s' il l' attendait, un masque de sommeil noir pour mettre sur les yeux la nuit. Elle sentit la main de Théo dans la sienne prendre les bandages. Elle le regarda encore, elle n' osait y croire, c' est sûrement la tension de ces derniers jours, son corps lui joue des tours, elle se sentait faible. Devant cette vision irréelle, elle se sentait défaillir. Comme dans un rêve, elle marcha vers le lit. En fait, c' était une bonne idée, elle avait terriblement besoin de s' allonger. Elle mit le masque et s' allongea. Mon dieu l' obscurité lui fit du bien, être allongée aussi. Elle sentit une main saisir son poignet pour l' attacher au coin supérieur du lit. Ce contact chaud lui plut, bizarrement.

Puis ce fut au tour de l' autre poignet de subir le même sort.

— Vous vous sentez bien ?

— Je récupère.

— Vous récupérerez plus tard. Pour l' heure, vous allez être chatouillée Méline, vous le savez ?

Oh oui, elle le savait, et cette terrible perceptive future commençait même à prendre le pas sur sa surprise passée.

— Vous ne serez pas trop dur avec moi ?

Il était en train de finir d' attacher une cheville au bas du lit, les yeux devant la semelle de sa chaussure.

— Non rassurez-vous, je serais sage.

Il lui ôta sa mule, découvrant sa plante de pied.

—hum...quoique...

Il passa un doigt sous son pied, de la base des orteils jusqu' au talon. Pour Méline la sensation fut à la fois exquise et diabolique. Allongée, dans le noir, elle prit pleinement conscience de sa situation, elle avait les mains liés, elle essaya de remuer les poignets mais impossible de bouger. Ses aisselles, ses côtes, son ventre, étaient sans protection. Un homme attachait son autre cheville, elle avait un pied à l' air libre et l' autre chaussé, elle gigota les orteils de son pied nu pour mieux apprécier la situation. Elle était vulnérable. Elle sentit glisser sa mule, lentement, très lentement, imperceptiblement, elle eut tout le temps de se dire qu' elle ne pouvait rien faire pour la retenir. Une fois son pied libre, elle remua les doigts de pied, instinctivement.

— Par où voulez-vous commencer ?

La question était sadique. Hors de question de désigner soi-même une partie de son corps à mettre au supplice.

— Comme vous voulez.

— Parfait, j' aimerais vous regarder rire.

Elle le sentit s' asseoir sur le bord du lit, près d' elle. Puis des doigts caressèrent délicatement la zone située juste sous ses aisselles, une main de chaque coté.

— Vous sentez ?

Oui, elle sentait que les chatouillements devenaient insupportables, elle s' agita un peu, juste pour comprendre qu' il ne servait à rien de gigoter, elle ne pouvait rien faire pour empêcher ça. Les caresses s' intensifièrent. Elle renversa la tête en arrière, puis de gauche à droite, son sourire devint un halètement, puis un rire.

— Non ! Non ! Pas ça !

Ce ne fut pas le seul rire qui s' éleva cette nuit-là. Quasiment en même temps, à quelques mètre de là, le rire vaincu d' Ursula résonnait dans les oreilles de Christine, sous ses caresses habiles et sans pitié.

Une heure plus tard, Méline était en train de supplier. Des doigts exploraient sans relâche chaque parcelle de ses douces plantes de pied. Il avait appelé ça le bouquet final. Il finit par s' arrêter, elle reprenait péniblement son souffle, elle avait les yeux fermés sous son masque, exténuée.

— Alors, c' était comment ?

— Horrible, lâcha la suppliciée dans un souffle. Horriblement bon. Qu' est-ce que vous faites ?

— Je m' habille. Écoutez-moi, j' ai encore un dernier service à vous demander, il faut que je m' en aille. Pour ne pas faire d' ennuis, je vais passer par la fenêtre.

— Comment ? Vous partez déjà ? se désola Méline, en ayant du mal à reprendre son souffle.

— Il le faut. Je dois partir maintenant, mais je promet de vous revoir, Méline. Simplement, ne donner pas l' alerte de mon départ avant demain matin. Laissez-moi la nuit. Vous pouvez faire ça pour moi ?

Méline promit. Elle entendit la fenêtre s' ouvrir, puis elle sentit qu' on lui détachait un bras. Elle attendait en pensant qu' il allait l' aider à se détacher complètement mais non, un bruit lui fit comprendre qu' il passait par la fenêtre. Elle retira son masque pour retrouver la pénombre de la chambre et après l' avoir posé sur la table de nuit, elle se détacha l' autre bras puis s' assit sur le lit pour se libérer les pieds. En se relevant péniblement, elle passa la tête par la fenêtre, l' air frais lui fit du bien. La vue donnait sur le coté de l' hôpital où se trouvait le parking, avec ses arbres, et à gauche on apercevait la ville, elle crut un instant voir une ombre courir, au loin. Elle regarda en bas, nous étions au deuxième étage mais ce n' était pas très haut et les aspérités du mur permettaient facilement l' escalade. Puis elle remit ses pieds dans ses mules, ramassa le bandage, et se rendit dans la salle de garde où le spectacle qui l' attendait fut stupéfiant. Décidément, quelle nuit, se dit-elle, quelle nuit ! Un peu après, ses deux amies sortirent pour aller finir leurs affaires dans la chambre d' en face, inoccupée. Restée seule, pourtant épuisée, elle devait aller au bout de son service. Par bonheur elle ne fut dérangée qu' une seule fois par la lumière rouge sur le tableau, et c' était un appel de la chambre occupée par ses collègues. Quelques temps après être aller voir ce qu' on lui voulait, elle retourna dans la salle de garde et complètement lasse, s' écroula sur une chaise devant la table où elle posa ses bras en guise d' oreiller pour y enfouir sa tête. C' était trop, se dit-elle, en tout cas davantage que son corps et son esprit pouvaient en supporter. Depuis plusieurs jours elle dormait mal, ses horaires, son travail, sa liaison puis sa rupture, Mr Dumont, les chatouilles, elle était au bout de ses forces physiques. En un instant, elle tomba dans un profond sommeil.



— Méline ! Réveille-toi Méline !

C' était la voix de Christine, qui lui secouait doucement l' épaule avec la main.

— Réveille-toi, Mr Dumont va se faire opérer.

— Lequel ? répondit machinalement Méline, sans avoir ouvert les yeux. Encore endormie, elle se demandait de qui on parlait, du jeune ou du vieux Mr Dumont ?

— Comment ça lequel ? Mr dumont ! Il part pour le bloc, il voudrait te voir avant.

Méline releva la tête en mesurant toutes les conséquences de sa posture inconfortable : sa nuque et son dos la faisaient souffrir, le coin de sa lèvre trahissait qu' elle avait dû baver, et sa joue chaude était marquée par des traces provoquées par les plies de sa manche. Elle vit qu' en plus de Christine, Ursula était aussi dans la salle.

— Dépêche toi ma chérie ! Ils sont déjà en train de l' emmener !

En effet lorsqu' elle arriva, encore à moitié dans les vapes, il était déjà dans le couloir, allongé sur un lit roulant. En la voyant arriver, il sollicita quelques minutes en privé à l' infirmière qui accepta en retournant dans la chambre. Le vieux Monsieur fit un grand sourire à Méline lorsqu' elle arriva à sa hauteur.

— Quelle mine !Vous êtes superbe ! ironisa-t-il pour plaisanter.

— Je ne comprends pas, vous êtes...

Complètement abasourdie, elle n' arrivait pas à finir sa phrase.

— Je suis ?

— Vous êtes vieux !

Il éclata de rire.

— Je suis vieux, oui ! Merci de me le signaler ! Et je vais le rester. De toute façon, une vie est bien suffisante, jeune fille. J' ai vécu la mienne entièrement, j' ai connu des bonheurs et j' ai connu des malheurs. La mort est une délivrance. A quoi me servirait de revivre une vie ? Ce sont là des chimères. Non, je ne veux rien recommencer.

— Alors, si je comprend bien, ce n' était pas pour la vie, mais juste pour une nuit ? Pour vous amuser pendant une nuit ? Car je n' ai pas rêvé n' est-ce pas ? Ce que j' ai vu est réel ?

— Une nuit, une vie. Toute une vie peut se résumer en une nuit. Le temps est une chose incertaine. Quant à savoir si ce que vous voyez est réel, le sujet divise les philosophes depuis longtemps, il n' est plus l' heure pour moi de parler matérialisme et idéalisme. C' est l' heure pour vous. Donnez-moi votre main, s' il vous plaît.

Il prit la main tendu et y déposa un petit rond de métal.

— Tenez, dit-il en refermant la main de Méline, je n' en aurais plus besoin, désormais. Il est à vous. Attention ! Ce que nous souhaitons au cours de notre vie n' est pas sans conséquence. En réalité, ce que nous souhaitons, c' est là notre vie.

L' infirmière du bloc arriva.

— Vous êtes prêt Monsieur ?

— Oui, je suis prêt.

Il sourit à Méline. Elle lui dit à plus tard. Pourtant elle ne le reverrait jamais. Sans prendre la peine de se changer, elle rejoignit sa voiture sur le parking. En s' asseyant sur le siège conducteur, elle fouilla dans sa poche pour en sortir son téléphone qui était rempli de messages d' Arnaud restés sans réponse, elle soupira en le jetant dans le vide poche près du levier de vitesse, puis replongea dans sa poche afin d' en extraire le vieux morceau de métal aux curieuses inscriptions indéchiffrables. Elle le contempla longuement. Plein d' argent, la vie éternelle.

— Je souhaite rencontrer l' amour, dit tristement Méline avant de démarrer sa voiture pour rentrer se coucher.

Globalement l' opération de Théo Dumont se passa bien, malheureusement on pense que c' est l' anesthésie qui provoqua des complications. Dans la salle de réveil, toujours inconscient, il fut prit de convulsion. Après cette crise d' épilepsie, l' état de coma fut prononcé. Il mourrait peu de temps après.





Un matin,



Trois semaines s' étaient écoulées depuis le décès de Mr Dumont. Son service de nuit terminé, Méline traversait gaiement le parking de l' hôpital pour prendre sa voiture et rentrer. Elle avait eu beaucoup de peine en apprenant la mort de son patient, mais d' un point de vue général elle allait mieux depuis qu' elle avait rompu, c' était une bonne chose de l' avoir fait. Au moment d' ouvrir sa portière, on s' approcha d' elle par derrière, elle se retourna. Elle poussa un cri en portant sa main devant la bouche, faisant tomber ses clefs au sol.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle à l' homme devant elle.

— N' ayez pas peur ! Je vais tout vous expliquer, vous allez comprendre, fit-il d' un air emprunté et embarrassé.

Ce n' était pas sa voix. C' était bien lui, cet homme devant elle, c' était Théo Dumont, le jeune Théo Dumont, mais ce n' était pas sa voix.

— Bon dieu, je vous ai posé une question, qui êtes-vous ? Répondez !

— Je savais que vous me poseriez cette question.Tenez mademoiselle, voici ma carte d' identité, je ne peux pas faire mieux pour commencer.

Elle prit la carte d' identité, la regarda un moment, et releva la tête vers son interlocuteur pour dire le nom en entier à voix haute.

— Grégory Théo Dumont ?

— Oui, Théo est mon deuxième prénom. Je le dois à mon grand père. Théo Dumont était mon grand père.

Il y eut un silence. Ils se regardaient dans les yeux. Il attendait benoîtement une réaction de sa part, elle attendait une explication de la sienne. Il finit par se lancer, encore complètement paniqué.

— Écoutez je sais que c' est dingue. Vous avez toutes les raisons de m' en vouloir. Nous étions très proche avec mon grand père, surtout depuis que mon père est mort. Il m' avait caché qu' il était à l' hôpital, un jour il m' a appelé pour me demander de venir le voir. Nous avons parlé longuement et à la fin, il m' a demandé un service.

Grégory Dumont parlait avec beaucoup de nervosité, on voyait qu' il était très affecté et qu' il cherchait à se faire pardonner.

— Calmez-vous, tenta Méline.

— Oui, rigola nerveusement Grégory, je suis un peu tendu, c' est à dire que je suis quelqu' un de plutôt timide alors...

— Reprenez.

— Et bien voyez-vous, la façon qu' il a eu de me demander ce service, j' avais l' impression que c' était quelque choses comme sa dernière volonté, je ne pouvais pas lui refuser ça. Il me présenta le truc comme une blague, et puis c' était facile, je n' aurais même pas à parler m' a-t-il dit. Je devais juste venir vers vingt-deux heures trente, grimper à la fenêtre, puis une fois dans sa chambre enfiler ses vêtements. Il m' expliqua quoi faire quand je vous verrais et il se chargerait du reste. On se planqua dans la salle d' eau. Si vous saviez, j' étais mort de trouille.

Ils se regardèrent une nouvelle fois sans rien dire. Et tout à coup Méline éclata de rire. Grégory ne comprenait pas trop pourquoi mais plutôt content, il rigola avec elle. Puis ils cessèrent de rire et le silence se fit à nouveau.

Il est revenu, pensa Méline sans le quitter des yeux, il n' était pas obligé, il aurait pu ne jamais revenir, ne jamais me le dire, qu' est ce que ça lui aurait fait ? Mais il est revenu pour parler avec moi.

— Écoutez, reprit-il, je peux tout vous expliquer en détails si vous voulez, et répondre à vos questions, mais c ' est une histoire un peu longue, il y a un petit bistrot là-bas, peut-être que vous accepteriez que je vous raconte ça tranquillement assis autour d' un petit café ?

— Nous ne nous connaissons pas, répondit sèchement Méline en lui rendant sa carte d' identité.

Il eut l' air dépité. Elle continua.

— Nous ne nous connaissons pas et pourtant vous m' avez vue être torturer sous les chatouilles. Alors oui, dit-elle en prenant son air le plus charmant, je pense que vous me devez bien un café.

Il lui sourit. Il trouvait ça formidable.

Elle ramassa ses clefs par terre, puis ils se mirent en route.

— Vous m' avez chatouillée n' est-ce pas ?

— Moi ? Oh non, non, jura-t-il un peu embarrassé, je faisais des sudokus pendant ce temps là.

— Et mes demandes de pitié, mes supplications, vous les avez entendus ?

— J' avais un casque, j' écoutais de la musique.

— Nous verrons ça. Il n' y a pas que physiquement que vous ressemblez à votre grand-père j' ai l' impression.

— C' était un original, dit-il en souriant, beaucoup pensait qu' il était un peu fou, moi je suis plutôt quelqu' un de raisonnable.

Toi mon gaillard, pensa Méline, tu es tout, sauf raisonnable. En rangeant ses clefs elle toucha du bout des doigts l' amulette au fond de sa poche. Et ton grand père était sans doute l' homme le moins fou que j' aie jamais rencontré.

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