Histoire : L'archipel Saflots

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Histoire


Histoire ajoutée le 21/04/2014
Épisode ajouté le 21/04/2014
Mise-à-jour le 03/07/2021

L'archipel Saflots

Bonjour à toutes et à tous,


Voici ma première histoire, que j'avais envie de poster ici depuis longtemps. J'espère qu'elle vous plaira, mais ne soyez pas indulgeants, toute critique constructive même négative est bonne à prendre.

Sur ce, bonne lecture !


L'archipel Saflots


Chapitre 1


J'eus toutes les peines du monde à me réveiller ce matin-là, lorsque le navire entra au port de Saflot. Le voyage avait été rude et la nuit dernière fort peu commode, car bien avant l'aube l'équipage s'était mis à s'agiter, courant en tous sens dans les coursives et se hélant sans retenue. Quelqu'un avait même failli pénétrer dans ce qui me servait de chambre, bienheureusement j'avais fermé le loquet, et j'avais pu me rendormir une heure après pour finalement m'éveiller toujours aussi fatiguée et désorientée. Les voyages en mer ne me réussissaient pas, dommage pour moi car si j'avais fait tant de sacrifices c'était pour tenter de commencer une nouvelle vie sur un archipel.


L'esprit toujours embrumé, je me soulevais maladroitement de mon hamac de fortune et manquais de m'effondrer au sol. Après quelques instants passés à réunir à tâtons le peu d'affaires que je possédais, et alors que le bateau vibrait sous les passages répétés des matelots, je sortis enfin de cet espace exigu qui m'avais servi de chambre et que je n'avais pas quitté depuis un jour et demi déjà. Que voulez-vous, lorsqu'on a pas les moyens de se payer une cabine, on se contente de ce qu'il reste. Equipant mon sac-à-dos de cuir usé, je réalisais, alors que je me redressais péniblement, qu'il faisait une chaleur insoutenable. Je ne m'en étais pas rendu compte jusque là, et dorénavant plus de la moitié de mes affaires devenaient inutiles. Le temps que je remonte jusqu'à l'écoutille, j'étais déjà en nage, et, lorsque je sortis sur le pont, je crus m'être jetée dans un brasier ardent. Il régnait ici une atmosphère un rien humide et une chaleur infernale, si torride que je ne sus comment je fis pour ne pas défaillir. Lorsque enfin, me protégeant d'une main du soleil, je pus rouvrir les yeux, je restais sans voix ; L'île de Saflot se tenait là, juste devant moi, baignée de lumière et grouillant de monde. Par delà l'imposant port dans lequel le navire se trouvait, je pouvais contempler de grandes bâtisses de pierre grise qui brillait de mille feux sous les rayons de l'astre du jour. Entre ces bâtiments, beaucoup d'échoppes et d'étales, tous installés sous de larges pans de tissu chatoyants qui abritaient les vendeurs et les passants. D'ailleurs, c'est sur ces derniers que mon attention se porta : Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, miliciens ou civils, ils rayonnaient tous de la joie de vivre, et leurs corps bronzés leur donnaient des airs surnaturels, tout du moins pour moi qui n'avait jamais connu aucun autre climat que celui de Grenat-sous-brume. Mais ce qui m'interloqua le plus, ce fut leur accoutrement, si différent de tout ce que j'avais connu, brisant net tous les tabous qu'observait les sociétés des peuples de Prisme. Plus qu'à moitié nus, on pouvait principalement voir sur ces hommes et ces femmes au corps basané des pagnes de tissu ou de feuilles, des soutien-gorge faits de coques de fruits ou seulement de lin, des chapeaux de paille ou de toile, des sandalettes bien que la plupart allaient nu-pieds sur les allées de pierre et de sable. La pudeur semblait elle aussi ne pas apprécier la chaleur mortelle qui recouvrait cette île. Moi, ainsi que tous les autres passagers du navire, devions, aux yeux des autochtones, avoir l'air bien sots de rester couverts par un tel temps. Il est vrai que, bien que fine, ma robe me donnait l'impression de porter une fourrure, hélas cette sensation ne se dissiperait pas avant que je me soie habituée au lieu, j'en avais peur. Le choc sourd de la passerelle frappant le pavé me tira de mon observation, et je m'écartais in extremis pour laisser passer un groupe de débardeurs. Tous les matelots s'agitaient comme des fourmis et me lançaient des regards haineux, j'attendis donc que la voie soit libre pour quitter le bateau au plus vite et enfin mettre le pied sur cet île qui me troublait tant. Vérifiant que je n'oubliais rien, je me préparais à traverser le port quand une main puissante me retint par l'épaule. Surprise, je me retournais et tombais nez-à-nez avec le capitaine qui me fixait d'un air mauvais, suant autant que moi.


– T'as pas tout payé gamine, me lança-t-il sans préambule.
– Qu... Quoi ? Mais... Mais si !


Moi qui étais d'ordinaire si sûre de moi, sentir cette main de fer sur mon épaule et voir ce bonhomme trapu au visage menaçant me serrait les tripes. Et visiblement, ma réponse ne lui plut pas car il resserra encore son étreinte, qui devenait franchement douloureuse.


– Mais je vous ai payé ! Explosais-je en tentant vainement de me dégager, alors que quelqu'un approchait derrière moi. Maintenant fichez-moi la paix, je n'ai plus rien de toutes façons !


A ces mots, il afficha un sourire pervers, dévoilant une rangée de dents jaunes.


– Tu seras très utile sur le navire, crois-moi, ricana-t-il en commençant à me tirer vers son bateau.


Je lançais un cri de surprise et lui opposais toutes mes forces, ce qui eut pour seul effet de le faire grogner. J'étais terrorisé et dépitée à la fois, j'avais fait tant de route, j'avais tout misé sur ce voyage, et voilà que, maintenant que j'étais arrivée à bon port, j'allais tout perdre à cause d'un loup de mer lubrique ? Autant me jeter à la mer, j'étais si épouvantée que l'idée d'employer la magie ne me vint aucunement à l'esprit. Tout à coup, alors que nous nous rapprochions dangereusement de la passerelle sous le regard amusé des matelots, une voix forte déclara, juste dans mon dos :


– Lâchez immédiatement cette demoiselle.


L'intéressé, aussi étonné que moi, s'arrêta, et nous nous retournâmes tous deux pour découvrir qu'il s'agissait d'un milicien, portant lance et bouclier, qui venait d'intervenir. Constatant la présence d'une arme et d'une musculature fort développée, le capitaine joua la carte de la solidarité masculine, à grand renfort de clins d'oeil salaces :


– Elle a pas payé son voyage la p'tiote, et puis elle est toute seule, j'peux quand même pas la laisser ici... Ca se voit ben qu'elle est pas du coin, et puis...


Le milicien venait de placer la pointe de sa lance sous la gorge du pervers, l'air toujours impassible, et je sentis la poigne de celui-ci se relâcher, ce dont je profitais immédiatement pour me dérober à son étreinte. Le capitaine, bouche béante et yeux exorbités, me suivit du regard alors que je me cachais derrière le soldat.


– Je vous conseille de vous conduire sagement, messire, auquel cas je me verrais contraint de vous emprisonner pour ce que vous avez tenté de faire.


– Euh... Je... Oui, bien.. Euh... bredouilla le marin, pâle comme un linge et tremblant comme une feuille.


Puis il recula, et regagna son navire au pas de gymnastique sans même m'accorder un regard. Lorsqu'il eut enfin disparu, ma peur s'envola, me laissant toute fébrile, les jambes flageolantes et la gorge sèche. Le milicien me fit face, et je tentais maladroitement de le gratifier d'un de mes plus beaux sourires.


– Merci... Beaucoup... Je ne sais vraiment pas comment j'aurais fait... sans vous...


Il ne répondit pas tout de suite, se contentant de m'observer poliment de la tête aux pieds, frottant son large menton glabre. Finalement il répondit, souriant à son tour :


– Vous n'avez pas à me remercier, c'est mon devoir. Mais que venez vous faire à Saflot ?
– Je suis venue... m'installer, dis-je en soupesant mon sac, ce qui me parut lamentable.


Le milicien hocha la tête, les yeux dans le vague. S'il avait eu vingt ans de moins, j'aurais pu le trouver charmant, mais en tant que tel, tout ce que je ressentais à son égard c'était de la reconnaissance et de l'admiration. Car oui, j'avais honte de ne pas m'être défendu, sans ce coup de pouce de la providence, je serais à cette heure enfermée dans la cabine de ce capitaine, brrr.


– Je vois, fit le soldat en se redressant et en empoignant sa lance, retrouvant son air impassible. Dans ce cas vous avez tout intérêt à aller vous présenter à l'hôtel de ville, vous y trouverez l'aide qu'il vous faut. Vous n'avez qu'à remonter cette rue.


Je le remerciais le plus chaleureusement que je pus, bien qu'il eut l'air de s'en moquer, et me mit en route, le coeur léger comme jamais il ne l'avait été. Si tous les habitants de cet archipel étaient ainsi, alors j'étais tombée au paradis. Et comme pour me le confirmer, les gens, au lieu de m'ignorer ou de me lancer des regards méfiants comme on le fait ordinairement aux étrangers, les gens me rendaient mes sourires, et certains me saluaient même d'un hochement de tête. Pourtant, je ne pouvais pas passer inaperçue, avec mes longs cheveux blonds, ma peau pâle et mes yeux bleu-vert, sans parler de ma robe blanche... J'étais aux anges, l'incident du port, qui pourtant avait bien failli sceller mon destin de manière funeste, n'était plus qu'un mauvais souvenir. Arrivée à un croisement, je compris que je n'étais pas la seule étrangère ici, bien sûr je m'attendais à trouver des nobles en villégiature, voire quelques brigands ou déserteurs, mais les personnes que j'aperçus portaient, sinon le bronzage délicieux de ce climat, les habits traditionnels de l'île. Je vis ainsi un grand roux à la peau pâle qui tressait des paniers à l'ombre d'un palmier, deux vieillards aux yeux de jade vendant des chapeaux, et une dizaine d'autres personnes qui devaient passer pour exotique ici. De voir tous ces gens, et surtout de constater avec quelle gentillesse les Saféliens les traitaient, et avec quel brio ils s'étaient intégrés à la société, cela me libéra d'un poids extraordinaire, c'est donc le sourire aux lèvres et sur un petit nuage que je pénétrais dans ce qui m'apparaissait comme l'hôtel de ville.

C'était, à l'instar de beaucoup d'autres ici, un massif bâtiment de pierre grise, percé de peu d'ouvertures et aux murs fort épais. En conséquence, il y faisait agréablement frais et sombre, ma peau cessa enfin de me brûler et mes yeux de larmoyer. Une fois que ces derniers se furent habitués à la luminosité des lieux, je pus découvrir une immense salle toute de voûtes et de gravures, dont le plafond s'élevait à au moins huit mètres. Chaque ouverture était taillée en arche, et chaque arche sculptée en intégralité. On pouvait ainsi contempler, encadrant la grande entrée, un guerrier et une guerrière ressemblant beaucoup au milicien qui m'avait secouru. Au centre de la salle, se tenait une table de pierre, formant un cercle dans lequel quelques employés compulsaient ou rédigeaient des codexs. A mon approche, l'une d'entre eux, une magnifique jeune femme aux cheveux si blonds qu'ils en étaient presque pâle, et aux yeux céruléen leva la tête et me sourit. C'était la seule d'origine étrangère du groupe, ce qui me mit un peu plus en confiance.


– Bonjour, saluais-je sans trop élever la voix, de peur qu'elle ne s'amplifie dans un écho démesuré.
– Bonjour jeune fille, que puis-je pour vous ?


Bien que je n'eusse vu que cela depuis mon arrivée, les vêtements qu'elle arboraient me troublaient toujours, je me voyais mal porter comme elle, un pagne de lin blanc et un soutien-gorge du même tissu, si fin que je pouvais voir la pointe de ses seins dessous. Le choc de culture allait être rude. Sans parler du fait qu'elle était pied nus, je n'avais pas l'habitude de ce genre d'accoutrement.


– Je viens tout juste de débarquer ici et j'aimerais... m'installer. Est-ce possible ?


L'employée m'observa comme si j'étais un enfant seul et perdu, et, loin de me vexer, cela me fit au contraire rougir.


– Excusez(moi. Bien sûr que cela est possible, rassurez-vous. Venez, allons nous occuper de tout cela.


Elle se leva et me fit signe de la suivre, avant de s'engouffrer dans un couloir sombre au plafond arqué. Ses petits pieds ne produisaient aucun bruit sur le sol de pierre, alors que mes sandalettes claquaient affreusement dans cette chape de silence quasi-religieux. Après nous être perdus quatre ou cinq fois, du moins c'était du pareil au même pour moi, la jeune femme s'arrêta devant une porte de bois sombre, qu'elle poussa avant de m'inviter à entrer dans ce qui devait être son bureau. J'entrais donc à mon tour, et analysais rapidement la pièce du regard : Petite et fonctionnelle, elle ressemblait beaucoup à ce que l'on pouvait trouver à Grenat-sous-brume, en plus sobre néanmoins. Au centre on avait disposé, autour d'un bureau de bois verni, trois chaises d'aspect confortable, deux devants et une derrière. Sur le meuble quelques feuillets s'entassaient avec ordre, et un encrier patientait, la plume à son pied. Dans un coin de la pièce se tenait une étagère et une table, supportant une carafe de verre pleine d'un liquide vert vif, peu ragoûtant.


– Je vous en prie, asseyez-vous, me dit l'employée en fermant la porte dans mon dos.


J'obéissais et m'installais sur une chaise, tordant nerveusement mon sac avant de me décider à le poser au sol. La jeune femme dut deviner mon embarras, car elle tenta de me rassurer, d'une voix incroyablement douce :


– Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer, ce n'est qu'une formalité administrative. Il n'y a pas d'épreuve ou de qualités requises si c'est ce qui vous angoisse, vous ne risquez pas d'être refusée.


C'était bien tenté de sa part, néanmoins je ne me sentais toujours pas à l'aise, gigotant sur mon fauteuil sans réussir à me caler convenablement. Au lieu de prendre place de l'autre côté du massif bureau comme je l'aurais cru, la jeune femme alla prendre le pichet sur la petite table, et remplit deux grands verres de son contenu, avant d'aller les poser entre nous. Après quoi elle se décida finalement à s'asseoir, souriant toujours. Voyant que je lorgnais avec circonspection le breuvage, elle s'empressa de se saisir du sien, et de m'expliquer :


– C'est du jus de Telko, c'est très bon et très rafraîchissant, pile ce qu'il vous faut.


Sachant bien que je devrai tôt ou tard passer par là, j'attrapais le verre et y trempais les lèvres sans conviction. C'était pourtant très bon, un peu acide et délicieusement frais, j'en vidais sans m'en rendre compte le verre en quelques gorgées. M'adressant un regard approbateur, la jolie employée se pencha et me servit à nouveau, avant de poursuivre :


– A propos de ça, vous devriez enlevez ces habits au plus tôt, il serait fâcheux que vous nous fassiez une insolation le premier jour, vous ne croyez pas ?


Je hochais la tête, j'avais déjà compris que j'avais tout intérêt à me plier aux coutumes vestimentaires locales, qui n'en étaient pas tant. Puis je me redressais dans mon siège, me rappelant soudainement des règles de bienséance qu'il valait mieux observer si l'on voulait passer pour sérieux aux yeux des notables.


– Vous savez, je crois que nous avons le même âge, me dit la jeune femme en me dévisageant longuement. Cela me trouble un peu de vous vouvoyer...
– Alors qu'on se tutoie, répondis-je du tac au tac, trop heureuse de trouver une ouverture favorable à mon intégration.
– D'accord. Alors dis-moi... Oh mais comment t'appelles-tu déjà ? Je ne te l'ai même pas demandé...
– Crystal. Crystal Ame-de-jade. Et toi ?


C'est vrai que c'était plus agréable de se parler ainsi, après tout, comme elle l'avait dit, nous avions le même âge. Je me disais même que je pourrais entretenir une relation avec elle, afin qu'elle puisse m'aider pour mes premiers jours ici. Certes voir les choses ainsi était odieux, mais la vie ne m'avait jamais fait de cadeaux, et, bien que cette belle jeune femme eut l'air tout à fait adorable, mon expérience me disait qu'il valait mieux me la mettre dans la poche. Les écorchés vifs passaient bien souvent pour des monstres, et, si je continuais ainsi, je ne sortirais pas du lot.


– Perle Royal...


Mes machinations égoïstes volèrent en éclat à ce nom, quelle coïncidence ! Perle et Crystal ! Nous observant une seconde sans dire mot, nous finîmes par éclater de rire, et je sentis, au-delà de la honte éprouvée pour avoir osé penser à profiter de cet ange, un début d'affection envers elle. Ce sentiment qui m'avais si rarement animé et cette coïncidence me laissaient penser que c'était là le début d'une grande amitié. Et, à voir les yeux de Perle, je ne me trompais pas, car elle aussi venait d'être touchée par cette certitude.


– Je viens de Grenat-sous-brume, repris-je après ce moment magique. J'ai tout perdu pour venir ici, alors tu comprends, je mise beaucoup sur...


Ma voix mourut lorsque, la tête basse, je sentis la main de Perle se poser sur la mienne, une main si douce, un geste si réconfortant, que je ne pus retenir mes larmes plus longtemps. Doucement, ma nouvelle amie se leva, et vint s'accroupir près de moi, pour m'enlacer tendrement, et je ne lui résistais pas. Laissant enfin mes sanglots s'échapper, je l'étreignis du plus fort de mon être, pleurant sur sa délicate poitrine. Elle ne dit pas un mot, et, d'une main, se mit à me caresser les cheveux, y déposant de temps à autre un baiser. Au fur et à mesure que mes larmes coulaient sur son corps, je sentais une foule de sentiment qui s'échappaient de moi, émotions trop longtemps confinées, qui m'avaient si souvent serrer le coeur dans un étau, qui avaient hantées mes rêves, furieuses d'être enfermées dans cet âme qui ne voulait pas d'elles. Toute ma pression, toutes mes craintes et mes angoisses, ma rage et mes déceptions, tout ce que je portais en moi de mauvais et qui n'avait rien à y faire, tout cela glissait hors de mon corps, s'écoulant lentement sur la peau pâle de cette femme. Elle ressentait tout ça, j'en étais persuadée, et c'est ce lien, qui avait peut-être toujours existé, qui créait cette alchimie libératrice. Lorsque, telle une source tarie, je me décidais enfin à diminuer mon étreinte, je restais stupéfaite : Comment diable avais-je pu vivre avec un tel poids sur le coeur ? Ouvrant les yeux, tout m'apparut alors avec une intensité nouvelle, j'étais prête à redécouvrir le monde, à faire de nouveau confiance à mes semblables et à la vie, j'étais enfin délestée de la charge qui m'interdisais d'aimer.


– Tout ira bien maintenant, je te le promet.


Je levais les yeux vers Perle, qui me fixait de son regard serein, me souriant comme à un nouveau-né, et je lui rendis, pour la première fois depuis une éternité, avec sincérité et amour.


– Merci, murmurais-je, les yeux toujours humides.
– je veux que tu me promettes d'oublier tout ce qu'il s'est passé auparavant, d'accord ?
– D'accord.


Elle se redressa, le buste inondé de larmes.


Il ne suffit pas de me le promettre à moi, Crystal, il faut que tu t'en fasses toi-même la promesse. Tu vas commencer une nouvelle vie ici, une vraie vie.


Puis elle alla chercher un grand livre, qu'elle déposa devant nous. Elle l'ouvrit et le feuilleta d'un geste désinvolte jusqu'à une page blanche, après quoi elle se saisit de la plume, et inscrivit, à mesure que je répondais à ses questions, mon état civil. Une fois qu'elle eut fini, elle prit quelques secondes pour observer son travail, puis claqua le livre, le cala sous son bras, et, me tendant la main, déclama :


– Crystal Ame-de-jade, vous êtes maintenant citoyenne de l'île de Saflot, ainsi que de toutes celles de l'archipel. Vous êtes donc, aux yeux de la loi, une habitante à part entière de cette ville et devez, par conséquent, obéir à vos devoirs et user de vos droits et privilège.


Puis, d'une voix naturelle :


– Bienvenue à toi, Crystal.


J'explosais de joie et me jetais dans ses bras, me remettant à pleurer, de bonheur cette fois. Nous restâmes quelques instants à rire et à nous enlacer, car je sentais, tout au fond de moi, que Perle ressentait tout autant de plaisir.


– Allez Crystal, ce n'est pas fini, ça ne fait que commencer. Nous y passerons la matinée, mais je veux t'apprendre et te montrer un maximum de choses.


Je lâchais donc mon amie, et reprenais mon vieux sac-à-dos, souriant jusqu'aux oreilles sans pouvoir m'en empêcher. Après tout, j'avais frôlé l'euphorie, et puis Perle aussi semblait enchantée, certainement fière de me présenter ce qui constituait son existence. La main sur la poignée, cette dernière s'immobilisa, avant de me fixer avec insistance. Je restais là quelques secondes, interdite, avant de comprendre ce qu'elle voulait me dire. J'ouvris donc mon sac, et m'apprêtais à ôter ma robe, mais ma pudeur me fit hésiter. Voyant cela, Perle se mit à rire, et me dit, en m'adressant un clin d'oeil malicieux :


Ne me dis pas que tu n'oses pas te déshabiller devant une femme à moitié nue ?


C'est vrai que c'était puéril, je m'exécutais donc et enlevais mon habit, rougissant tout de même.


– N'oublie pas tes chaussures, sinon tu ne t'habitueras jamais.


L'idée de fouler de mes plantes sensibles le sol brûlant de cette île ne me disait rien qui vaille, pourtant, je m'en remettais à mon amie et mes sandalettes rejoignirent ma robe dans mon sac, que je balançais finalement sur mon dos.


– Ca fait... bizarre... avouais-je en m'approchant de Perle.
– Tu t'y feras, ne t'inquiète pas. Au moins tu n'as pas de raison de complexer. Allez viens, on a beaucoup de choses à faire.


Le compliment ne me laissa pas indifférente, et je rougissais plus fort encore en quittant le bureau et en suivant Perle à travers le dédale de couloirs sombres de l'hôtel de ville. Je me demandais bien ce que nous allions faire, mis à part visiter la cité. Peut-être allait-elle me montrer sa maison, ou me faire rencontrer des amis ? En tout cas, le fait qu'elle sacrifia une matinée de travail me faisait vraiment plaisir, cela me gênait presque. C'est donc dans un état d'esprit radicalement différent que celui dans lequel j'étais arrivé que je sortis du bâtiment, une nouvelle amie à mes côtés.

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