Histoire : S.V.D

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Histoire


Histoire ajoutée le 24/07/2016
Épisode ajouté le 24/07/2016
Mise-à-jour le 03/07/2021

S.V.D

S.V.D




Le 3 décembre 2001, au cours d’une visite officielle à Berlin, le président français Henri Legrand est abattu en pleine rue d’une balle dans la tête par un tireur d’élite. Cet assassinat, qui n’a jamais été revendiqué et éclairci malgré une enquête approfondie, mit immédiatement fin au régime de prospérité d’ordre mondial instauré par le défunt président. Des querelles incessantes éclatèrent alors au sein du G8, tandis que les conflits et les guérillas fleurissaient à nouveau au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. L‘arrivée subite de Denis Marechal à la tête du gouvernement français en remplacement de son ancien opposant, n’a strictement rien changé à ce désastre. Malgré l’incompétence dont il a fait preuve durant le reste du mandat, celui-ci s’entête à se présenter aux prochaines élections présidentielles qui auront lieu dans deux semaines : le 14 mai 2002.





1 : LE THEATRE NOIR






Une ombre de peine à flot, de l’hurlement étranglé des corbeaux, jusqu’au sourire putride du chaos.

Douleur, quiétude et fatigue fouettent ce soir le 36 quai des Orfèvres, déjà bien écrasé par l’imposante noirceur du ciel parisien. La somptueuse musicalité que fredonne la Seine devenue obscure ne parvient pas à égailler le visage ravagé des officiers, aussi rongé par l’affaire qui les accable depuis bientôt un an. Au deuxième étage du bâtiment de la brigade criminelle, se trouve le vieillissant commandant Jacquet, un ancien membre brillant du GIPN reconverti dans la Crim’. C’est lui qui est chargé avec ses hommes de retrouver le ou les commanditaires de l’assassinat du président Legrand. Son courage et sa ténacité sont ses deux principales qualités, comme peut en témoigner la jambe qu’il a perdue valeureusement lors du tristement célèbre massacre de Cuba en 1992.

Concernant l’enquête, l’unique indice dont dispose son équipe est une balle, une balle provenant d’une cartouche de 7,62 × 54 mm R, très certainement tirée par un fusil de précision Dragounov d’une distance environnant les mille mètres. Alors que les aiguilles de la pendule bruyante de la salle de réunion du deuxième étage affichent 22 heures, le capitaine Eugène Dattler pose violement ses deux mains sur la table et profère :

« Rien, toujours rien ! On s’acharne jour et nuit depuis des mois et pas moyen d’éclairer cette foutue affaire. C’est le noir total, on n’y voit rien. Je ne veux plus rien voir d’ailleurs avec les élections qui approchent et l’autre pantin de Marechal qui risque malgré tout de passer avec son programme purement belliciste. »



Contrairement à son supérieur, Eugène Dattler est un homme instable, criard et narcissique. Devant lui, un tas de papier chiffonné traîne sur l’immense table autour de laquelle sont réunis l’ensemble des officiers du service. Tic tac, les aiguilles de la pendule grincent et suivent le rythme imposé par le balancement de la lampe pendue au plafond. Quelques ordinateurs sont encore allumés, et tous affichent des fichiers balistiques, des recensements d’activités terroristes ou des actes criminels relevant du même mode opératoire. Dattler, intrigué par le théâtre noir qu’offre la ville de Paris, regarde un instant par la fenêtre exagérément ouverte, passe doucement sa main dans sa barbe duveteuse, puis se lève et ajoute la bouche pâteuse :

« Je me tire ! J’en ai marre de rester planté là inutilement. Débrouillez vous sans moi. »



Comme à son habitude, le capitaine de la Crim’ quitte la pièce avant tout le monde en laissant derrière lui l’insoutenable grincement de ses chaussures noires mal cirées et le fracas de la porte, qui peine à tenir encore debout. Tic tac, le bruit des aiguilles continue de combler les nombreux silences imposés par Eugène Dattler. C’est alors que Jacquet visiblement mal installé sur sa chaise bancale, décide de prendre sagement la parole :

« Ne nous laissons pas abattre comme ça. Eugène est épuisé, comme nous tous mais c’est notre devoir de persister. Dans deux semaines, les élections présidentielles débuteront. Voilà l’occasion pour nous d’ajouter de nouveaux éléments à cette énigme. Les membres de cet affreux complot se manifesteront peut être à nouveau. Et c’est pourquoi nous devons rester vigilants et tenter d’ici là de trouver une piste. Je compte donc sur vous et votre sérieux. A présent, profitez bien de cette nuit pour vous reposer, je vous attends tous ici demain matin au levé du soleil. »


Bonne soirée Messieurs !




Sur ces mots, les officiers bondissent harmonieusement de leur chaise dans un grondement effroyable qui arrive enfin à étouffer le cri des insupportables aiguilles. L’un d’eux, le plus jeune, Martin, aide le commandant à se lever et à saisir ses béquilles. Les autres s’évadent de la pièce, les uns après les autres en saluant généreusement leur commandant. Martin, une fois tous ses collègues partis, prend soin d’éteindre les ordinateurs brulants de la salle de réunion, ainsi que la lampe pendante, avant de fermer la fragile porte à clé. Le petit Martin dévale ensuite les escaliers encombrés et manque de chuter brusquement avant de rejoindre la sortie. Il est le dernier à sortir de l’établissement.

La solitude et son éternel pantalon troué sont ses seuls compagnons, lui qui pourtant a un si joli visage, le visage d’un garçon timide avec les filles, gentil, mais honteusement timide. A plusieurs reprises, le frêle Martin avait tenté d’ouvrir son cœur à de charmantes demoiselles, mais en vain… La prise de parole avec une l’une d’entre elle s’est présentée comme un obstacle infranchissable, et il n’a même pas osé profiter des ses appétissants yeux bleus pour les séduire.

Martin avance d’un pas mécanique, tic tac, il suit le cours de la Seine qui comme chaque soir, le protège et le ramène chez lui. Le chemin est dégagé, personne à l’horizon hormis ces immondes corbeaux positionnés tels des spectateurs au théâtre qui attendent le bouquet final pour applaudir les acteurs. A chaque pas, l’innocent petit Martin s’engouffre un peu plus dans le sombre brouillard qui asphyxie la ville. Quand désormais sonne le glas de cette comédie lugubre, surgit alors du néant une silhouette indiscrète qui suit Martin à la trace, tic tac, Martin panique, tic tac, il joue des claquettes sur le pavé, tic tac, il galope comme si la foule le traquait, tic tac, tic tac, et ralentit brutalement suite à la résonance d’un coup de feu.

Martin est touché, son cœur explose au contact de la balle qui l’a transpercé et son corps s’allonge sur le dos le long de la Seine, qui semble le bercer dans un profond sommeil. Les corbeaux qui ont assisté à la scène ne tardèrent pas à se joindre à la pièce. Martin n’est plus seul, il a maintenant deux nouveaux compagnons au plumage d’ébène qui se chamaillent pour lui dévorer les yeux ainsi que l’ensemble de sa chair.

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